• Chapitre 4

    A cet instant, des cris leur parvinrent du pont et pendant une fraction de seconde, l'attention des hommes fut détournée. Noré sentit que celui qui lui maintenait la tête en arrière avait légèrement relâché sa prise. Sans hésiter une seconde, elle en profita pour se pencher brusquement en avant. Le rat tomba sur ses genoux, sauta au sol et s'enfuit. La jeune fille éprouva un soulagement sans nom en le voyant disparaître derrière un tas de caisse. Cependant, le capitaine, qui ne s'était laissé distraire que quelques secondes, lui attrapa les cheveux en hurlant :

    -Ah, c'est malin !

    Il saisit le tube de fer et l'enleva d'un coup. Noré cracha le sang et les morceaux de ferrailles qui emplissaient sa bouche, avant de faire marcher ses mâchoires devenues douloureuses.

    -Montez, vous deux !

    Les hommes sortirent, laissant le capitaine qui était visiblement fou de rage. Celui-ci prit un autre poignard en main et planta les deux dans les mains de l'adolescente, la clouant au fauteuil. Elle hurla de toutes ses forces, les larmes se déversant à flot. Puis il la frappa, mais, affaiblit, elle perdit vite connaissance.

    Il lui fallut toute sa volonté pour ouvrir les yeux, mais la jeune fille ne pouvait distinguer grand chose. Sa vue était trouble et elle avait du mal à ce concentrer sur quoique ce soit. Le monde semblait tourner sans cesse. Elle avait mal, le sang coulait encore sur son visage, lui laissant penser que le capitaine ne devait pas être parti depuis longtemps. Des plaintes lointaines lui parvenaient à travers le voile de la souffrance, mais Noré n'eut pas le temps de cerner distinctement ce qu'il se passait car elle perdit à nouveau conscience. Puis une voix lui parvint, trop vrai, trop net, pour faire partit d'un rêve. On l'appelait. La jeune fille rassembla ses forces pour ouvrir les yeux. Xilanos était près d'elle, lui caressant le front :

    -Ça va aller, ma belle, je suis là.

    Noré fut submergée de bonheur à le voir là, ses yeux dorés plein d'inquiétude posaient sur son visage. Elle serait sauvée finalement, il allait l'emmener et elle ne souffrirait plus. L'adolescente réussit à murmurer en souriant derrière ses larmes :

    -Avec ce qu'il m'a mis dans la figure, je suis pas sûr que ce soit l'adjectif qui convienne.

    Son rire lui fit mal, mais Xilanos conserva son air si sérieux de petit chef que Titian méprisait tellement. Noré, cela la rassurée, surtout en cet instant. Il donnait l'impression qu'il savait toujours quoi faire. Ils allaient sortir de là, c'était sûr.

    -Je vais t'aider. Appuie-toi sur moi.

    Avec difficulté, elle réussit à articuler :

    -Les poignards... 

    -Quels poignards ?

    Noré baissa les yeux sur ses mains. Des traces sanguinolentes en marquaient le dos. Elle ne s'était même pas rendu compte que le capitaine avait récupéré ses poignards. Elle devait être sacrément amochée pour n'avoir rien senti. Xilanos l'avait détaché et l'adolescente tenta de se lever. Elle fut surprise de voir ses pieds mouillés car elle avait complètement oublié la bassine pleine de neige fondu. Ses bras tremblèrent et ses pieds insensibles se soulevèrent avec peine.

    -Attend.

    La jeune fille obéit, se maintenant dans un équilibre précaire aux bras du fauteuil. Le garçon ramassa dans un coin, la besace et le manteau qui lui avaient été retiré. Il récupéra également ses bottes et l'aida à les enfiler. Ses pieds retrouvaient peu à peu leur sensation pour son plus grand soulagement. Il retira les deux pans de chemise qui pendaient à son pantalon, puis lui fit enfiler son manteau et le ferma à l'aide de la ceinture. Xilanos agissait vite, sans hésiter. Il passa le bras de Noré sur son épaule et la soutint par la taille. Ils marchèrent lentement, malgré les efforts de la jeune fille, fort désireuse de partir. Ils n'avaient fait que quelques pas quand des points lumineux se mirent à danser devant ses yeux. Elle repoussa l'engourdissement de son corps autant qu'elle put, mais lorsqu'ils atteignirent le pont tout devint noir. Durant une fraction de seconde, Noré avait vu fuser de petits êtres à fourrure blanche et ailes de papillon, alors que partout, des enfants aux cheveux argentés luttaient vaillamment. Au-dessus du tumulte de la bataille, le rire glacé du capitaine retentissait.

    L'adolescente se réveilla sur un lit, dans ce qui semblait être une cabane. Une petite fenêtre rectangulaire, proche du plafond, laissait entrer les rayons du soleil. Noré les fixa, songeant que c'était la plus belle chose au monde. Les senteurs des bois l'enveloppaient et le chant des oiseaux l'envahissait. Elle se rendit compte à quel point son désespoir avait été profond. Jamais elle n'aurait cru ressentir tout cela un jour.

    -Elle est réveillée.

    Noré chercha du regard qui avait parlé. Hëdjik était près d'elle, puis Xilanos entra dans son champ de vision avec un bol à la main. Il le posa sur une table, derrière la tête de lit. Ensuite, il la redressa, se glissa derrière elle et la laissa retomber contre lui. Hëdjik lui tendit le bol :

    -Je reviendrais plus tard.

    Xilanos acquiesça et s'appliqua à nourrir Noré par petites cuillerées espacées. Il lui sembla que cela durée des heures, alors qu'elle se serait volontiers jetée sur la soupe. Mais l'adolescente supposa que le garçon savait ce qu'il faisait. L'Aurien ne dit rien tout du long du procédé et elle ne se sentit pas la force de lancer la discussion. Lorsque le bol fut fini, il la recoucha, remonta les couvertures et s'assit sur le bord du lit, toujours silencieux. Il avait l'air soucieux et la jeune fille voulut demander ce qui n'allait pas, mais elle se fit surprendre par le sommeil. Noré ne fit aucun rêve et lorsqu'elle se réveilla, elle garda les yeux fermés pour profiter du calme qui l'entourait. Il faisait plus frais et en ouvrant les yeux, l'adolescente vit le ciel s'éclaircir par la fenêtre. Elle en déduisit que c'était le matin, ce qui ne l'aidait pas vraiment à savoir combien de temps elle avait pu dormir. Alors, la jeune fille remarqua un bras posait sur elle. Jetant un regard par-dessus son épaule, elle vit Xilanos endormit à ses côtés. Dans la seconde, son visage devint brûlant et elle se détourna vivement. Le mouvement réveilla le garçon et, le cœur affolé, Noré fit semblant de dormir. L'Aurien se redressa et demanda doucement :

    -T'es endormie ?

    Noré espérait bien en avoir l'air. Le garçon déposa un baiser sur son cou qui la fit frissonner et se leva. Elle ne rouvrit les yeux qu'en entendant la porte de la cabane se refermer, pour fixer l'assemblage de planche, de mousse et de feuille qui servait de mur à la cabane. Rêveusement, l'adolescente le caressa du bout des doigts et respira profondément l'odeur du bois. Ses mains, ses bras et la grande majorité de son corps étaient couvert de bandages. Malgré tout, à cet instant, elle se sentait bien. Noré resta au lit, ne bougeant que légèrement à cause des douleurs. Xilanos revint avec le repas et c'est en silence qu'il le prépara. Noré ne savait pas comment déclencher la discussion, le silence rendait la situation embarrassante. Il ne la regardait même pas. Une bonne odeur envahit peu à peu la cabane et son ventre se mit à gargouiller. Finalement, le jeune homme se lava les mains et vint s'asseoir près du lit. Sentant qu'il allait enfin ouvrir la bouche, elle se redressa difficilement. Il eut la délicatesse de l'aider et de la recouvrir de sa couverture. Une fois mieux installée, elle attendit patiemment qu'il se décide.

    -Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fais ?

    Sans qu'elle sache vraiment pourquoi, la première image qui vint à l'esprit de Noré fut Sark qui entrait dans sa tente. Elle serra les lèvres sans répondre. Xilanos prit une de ses mains et la pressa doucement entre les siennes, frôlant les bandages de son bras du bout des doigts, il poursuivit :

    -Dis-moi, comment tu t'es retrouvée dans cette situation ?

    Noré lui sourit :

    -Disons que les choses sont allées de mal en pis.

    Un soupçon de colère perça dans sa voix quand il dit :

    -Je le savais. Il ne fallait pas faire confiance à ce pirate. Il est où ce Titian ?

    Noré sentit les larmes lui monter aux yeux et pour les lui cacher, elle se pencha et passa ses bras autour de son cou. Elle le serra fortement contre elle en disant :

    -Je vais bien.

    Xilanos lui rendit son étreinte sans insister. Noré se demanda soudain s'il irait à la guerre lorsque celle-ci serait déclarée. Elle se souvenait aussi du passage de la lettre lut dans le futur parlant des forêts Auriennes brûlées. Les pirates avaient-ils suivis les Auriens ? Était-ce eux qui mettraient le feu ? Si c'était le cas, cela voulait dire que c'était encore de sa faute et qu'elle n'avait rien empêché de nouveau. Décidément, l'adolescente n'allait pas si bien que ça.

    Les jours s'écoulèrent. Noré passait le plus clair de son temps à dormir. Le naturel de Xilanos revenait au fur et à mesure qu'elle se remettait. Ils se remirent à parler de tout et de rien. Elle aurait fait n'importe quoi pour oublier ses mésaventures et il semblait l'avoir compris. Hëdjik venait régulièrement s'occuper de ses blessures. Un matin arriva où Noré se sentit prête à sortir. Cependant, elle resta un temps à observer Xilanos. Il dormait sur le dos, la tête tournait vers elle, la fée en boule sur son torse. Il lui sembla que ses trais étaient plus fins, la mâchoire plus carrée, le corps plus sculpté. N'avait-il pas grandi ? Ou bien c'est qu'elle ne l'avait jamais vraiment regardé. La jeune fille essaya de se souvenir de la dernière fois qu'ils s'étaient vu. Un garçon sortit d'une pierre sur un lac glacé, des siècles plus tôt lui semblait-il. Il avait mûrit sans aucun doute, et elle ?

    Noré l'enjamba pour descendre du lit, retrouva ses affaires, s'habilla et sortit. Elle s'assit à l'entrée de la cabane, les genoux entouraient de ses bras, fermant les yeux pour profiter du vent. La jeune fille resta là, à ne penser à rien. Après quelques minutes, Xilanos la rejoignit et s'assit près d'elle. Avant qu'il ne parle, elle demanda :

    -Tu n'étais pas censé quitter les Auriens à quinze ans ?

    -Il y a un an de préparation. Plusieurs cabanes comme celle-ci sont dispersées dans la forêt. Les Auriens qui doivent partir y vivent pendant un an. Pour voir s'ils peuvent se débrouiller seul. Si ce n'est pas le cas, en général ils se mettent en groupe et partent ensemble. En ce qui me concerne, cela me permet encore d'avoir un œil sur Eliana et elle peut encore me demander conseil.

    -Tu as l'air de t'en sortir.

    Xilanos la dévisagea :

    -Qu'est-ce qui c'est passé ?

    C'était la première fois qu'il relançait le sujet depuis leur première conversation. Noré fixa la cime des arbres et commença à raconter. Elle lui dit tout, sauf son voyage dans le futur, doutant qu'il puisse la croire. La jeune fille évita aussi de lui parler du sacrifice craignant qu'il ne s'emballe et fasse des bêtises.

    -Et Titian ?

    -Il est mort.

    C'était étrange de prononcer ces mots. Cela donnait une certaine réalité à la chose qu'elle avait refusé jusqu'alors. Noré essuya rapidement des larmes qui avaient glissé sur ses joues et se ressaisit. Xilanos passa un bras autour de sa taille et la rapprocha de lui, mais ne dit rien. Il préféra changer de sujet :

    -D'après ce que tu m'as dit, si on apporte le bracelet au siège de la Métane, il n'y aura pas de guerre.

    -C'est à peu près ça.

    -Bien, je t'accompagne.

    -Non.

    -Pourquoi ?

    -Je n'y vais pas.

    Il y eut un silence. Xilanos la fixait sans comprendre. Il se leva et commença à faire des aller-retours rapides, donnant le tournis à sa fée qui tentait de suivre ses déplacements. Soudain, il s'arrêta et demanda avec une colère contenu :

    -Pourquoi tu ne veux plus y aller ? Parce que Titian est mort ?

    Elle fit glisser son regard sur lui avec calme :

    -Non. Parce que je n'en ai plus envie.

    -Tu te rends compte que tu pourrais empêcher la guerre ?

    -En effet. Je suis quasiment le maître du monde.

    Noré sourit avec ironie. Il la dévisagea abasourdi et dit en criant presque :

    -As-tu la moindre idée de ce que cela implique ?

    Elle leva les bras dans un élan enthousiaste :

    -Tout le monde pour sa gueule !

    Le visage de Xilanos s'empourpra, mélange de colère et de déception. Il ajouta d'une voix plus calme :

    -Je ne pensais pas qu'il pouvait exister quelqu'un d'aussi égoïste.

    Elle souriait toujours, malgré un petit pincement au cœur. Noré posa ses coudes sur ses genoux et son menton dans le creux de ses mains :

    -Mouais, c'est fou, hein ?

    Écœuré, ne sachant que dire, Xilanos rentra dans la cabane, ressortit portant arc et flèches et s'éloigna. Sa fée, effrayée par son humeur, alla se cacher dans la chemise de Noré. Quand il se fut éloigné, la jeune fille dit à la petite créature :

    -Et si on allait faire un tour ?

    La fée lui lança un petit miaulement et Noré se mit en marche. Elle fixait le sol en réfléchissant, essayant de tout remettre en ordre, à présent qu'elle était reposée. Le pirate aux cheveux océan n'était qu'un livreur. Il travaillait pour quelqu'un. Une personne qui pouvait se faire obéir du capitaine devait être d'une grande puissance. Une personne qui la voulait vivante, mais pourquoi ? Noré resta un instant sur cette pensée, puis voyant qu'elle ne la menait à rien, décida de la reformuler. Une personne qui voulait le bracelet, sans aucun doute. Mais si elle voulait Noré vivante, c'est qu'elle devait avoir conscience de ce qu'elle représentait. Le sacrifice qui empêcherait la guerre. Les gens au courant de cette cérémonie étaient peu nombreux, de ce qu'elle avait cru comprendre. En fait, seuls les chevaliers Luse et Jdosté avaient semblé savoir ce que représentait réellement le bracelet, ainsi que leur capitaine. Donc, une personne non seulement au courant du lien véritable entre la Sinia et la Métane, mais qui voulait en plus que le rituel soit accompli. Sinon pourquoi la voulait-on en vie ? A force de tourner et retourner ces déductions dans sa tête, une réponse prit forme et pas des plus plaisante.

    L'empereur Daron. Il avait le pouvoir, l'influence et la connaissance. Noré s'arrêta, le cœur battant. Comment lutter contre ça ? L'adolescente regarda autour d'elle, comme si la réponse pouvait tomber d'un arbre. Au lieu de cela, ce fut la fée qui jaillit de sa chemise, sans doute pour prendre l'air. Surprise, la jeune fille fit un pas sur le côté, son pied glissa sur une racine et elle tomba sur une pente couverte de feuilles mortes. Elle espéra ne pas tomber sur une pierre et sentit la fée s'agripper à ses cheveux. La chute fut de courte durée et la jeune fille atterrit sur le dos. Elle ne bougea plus, fixant le ciel à travers la cime des arbres. La petite créature fit quelques zigzague, puis repérant son visage, s'avança en courant, bras grands ouverts comme pour l'enlacer. La fée se colla contre sa joue et se mit à ronronner. Noré éclata de rire, un rire souffrant et fou. Elle rit tellement que son ventre devint douloureux et que ses yeux s'emplirent de larmes. Entre deux éclats elle se dit :

    -Merde, je vais mourir.

    Et le rire reprit, évacuant sa peur et sa peine. Au bout d'un certain temps, Noré se reprit et, calmement, un sourire aux lèvres, se replongea dans ses souvenirs. La fée vint se coucher sur son cou, laissant pendre ses bras et ses jambes de part et d'autre. Son ronronnement résonna avec apaisement dans la gorge de la jeune fille. Celle-ci revit son voyage dans le futur, les lettres. Un traître et un homme qu'elle voulait présenter à Soria. Était-ce le même ? Son esprit vagabonda plus loin, vers la fête chez les Vemepyres et sa danse avec Xilanos. Il ne lui pardonnerait jamais de ne rien faire pour empêcher la guerre. En même temps, il changerait peut-être d'avis si elle lui disait qu'elle était sensée mourir pour cela. Noré fronça le nez. Le connaissant il chercherait une autre solution, mais ne renoncerait pas à sauver tous ces gens. Et puis, il fallait être réaliste, quelles étaient les chances de trouver une île qui ne serait pas touchée par la guerre ? L'adolescente soupira :

    -J'en ai marre d'être sensible.

    Se redressant doucement, pour laisser à la fée le temps de s'envoler, elle pensa aux sorcières. Vino lui avait dit que le futur était déjà modifié. Cependant, Noré se jura de retourner chercher Soria aussitôt qu'elle le pourrait et de se rendre au siège. Qui sait si ce n'est pas la rencontre avec l'homme de la lettre qui pourrait tout changer, si elle arrivait à lui faire rencontrer la Saldrian. Rempli d'une force nouvelle, la jeune fille se releva et laissa la fée la guider jusqu'à la cabane. Xilanos était en train d'éviscérer un lapin. Aussitôt, la petite créature se jeta sur les entrailles et les dégusta avec soin. Noré vint s'accroupir face à lui :

    -J'ai réfléchi.

    Il lança sans la regarder :

    -Et moi qui croyais que tu étais devenu stupide.

    Elle ignora le commentaire :

    -Je vais y aller.

    -Où ça ?

    -Au siège. Donner le bracelet, empêcher la guerre, sauver le monde, tout ça, tout ça.

    Il stoppa son ouvrage et daigna lever les yeux vers elle :

    -Vraiment ?

    L'adolescente hocha la tête. Au fond, elle voulait juste se réconcilier avec lui.

    -J'ai une amie que je pense rejoindre avant d'y aller.

    -Une amie ?

    -Oui. On l'a rencontré après que Nanz et Touja nous aient déposé sur l'île du siège. C'est une Saldrian. Elle et Titian étaient, disons, un genre de couple. Soria est enceinte de lui. 

    -Tu ne peux pas l'emmener avec toi, alors.

    Noré se mordit la lèvre. Elle avait parlé sans réfléchir. Cela allait être difficile de le persuader maintenant :

    -Il le faut. Je ne peux pas la laisser toute seule. Qui sait si les pirates ne vont pas la chercher ?

    -Non, laisse-la. C'est inutile de la mettre plus en danger, je viendrais avec toi.

    Elle sursauta, tant la proposition avait été soudaine. Vu la colère qui l'avait gagné plus tôt, elle avait supposé qu'il avait abandonné l'idée. A la pensée de faire le voyage avec lui était inespéré et bienvenue.

    -Tu veux vraiment venir ?

    -Bien sûr. Pourquoi pas ?

    -Je ne sais pas. Tu abandonnes les Auriens ?

    -C'est Eliana le chef, maintenant. Tu veux que je vienne ?

    -Et comment !

    Il reprit sa besogne avec un demi-sourire et elle précisa :

    -On ira avec la pierre.

    Xilanos se figea :

    -Tu n'as pas oublié ce que je t'ai dit ? Le siège est protégé, nous pourrions disparaître.

    -C'est vrai, mais je suis prête à tout. Si je dois le faire, il est hors de question que je passe des jours à essayer d'atteindre le siège. On y va directement ou pas du tout.

    Elle hésita avant de dire :

    -Tu n'es pas obligé de venir, si tu as changé d'avis.

    -Je ne change jamais d'avis.

    -C'est vrai et tu as toujours raison.

    -Exactement.

    Noré sourit en portant la main à son cou par réflexe, le collier n'y était plus. Elle se leva d'un bond :

    -La pierre ! Je ne l'ai plus ! Elle était dans la bassine !

    Xilanos leva la main pour l'apaiser :

    -C'est bon. Je l'ai récupéré. Va voir à l'intérieur.

    La jeune fille entra précipitamment dans la cabane et trouva de suite le collier posait sur la table. Elle s'en saisit avec soulagement. Sans ce collier, Noré se sentait perdue. Il avait été son seul réconfort après la mort de Titian. Soria n'avait pas été d'un grand soutien, alors cette pierre qui lui permettait de voir Xilanos avait était d'une grande aide. Elle remit le collier à son cou et ressorti.

    -Quand est-ce que l'on part ?

    -Après avoir mangé. 

    La jeune fille se laissa retomber avec un soupir. La fée, qui était occupée à manger un intestin, eut un sourire amusé. Ils déjeunèrent frugalement, puis Xilanos alla voir Eliana et Vigle pour les informer de son départ. Son année d'adaptation n'étant pas terminée, il put garder sa fée. Noré en profita pour discuter avec Hëdjik, en particulier de Soria. Ensuite, l'Aurien prit son arc et ses flèches, Noré récupéra son manteau, son sac et attacha le poignard à sa ceinture. Ils dirent au revoir à l'Alianis et, enfin, arriva le moment d'utiliser la pierre. Leurs amies avaient tenté de les en dissuader, mais Noré était résolue. Devant la cabane, elle fit tourner un moment la pierre entre ses doigts et pour la énième fois, Xilanos demanda :

    -Tu es sûr ?

    -Et toi ? 

    Il la fixait avec attention :

    -Tu as changé.

    Noré tenta de deviner s'il s'agissait d'une simple remarque ou si elle était plutôt négative. L'adolescente finit par se détourner de lui pour admirer la pierre. Elle était fascinée à l'idée qu'un si petit objet puisse causer sa mort, mais n'était-ce pas aussi le cas du bracelet ? La jeune fille ricana, à croire que les objets les plus insignifiants s'étaient concertés pour la condamner.

    -Pourquoi ris-tu ?

    -Pour rien. J'étais en train de me dire que je préférerais presque qu'il nous pulvérise.

    Xilanos demanda avec inquiétude :

    -Tu veux mourir ?

    Elle haussa les épaules. Cette éventualité lui semblait trop irréelle pour l'effrayer.

    -Non, mais après tout ce que nous avons traversé, voir que le collier nous amène directement au siège risque de profondément m'énerver.

    Ses yeux verts moucheté d'or s'étaient assombris et ses mâchoires s'étaient crispées. Xilanos soupira :

    -Je comprend.

    Il passa une main dans les cheveux châtains clairs de la jeune fille avant de dire :

    -J'espère au moins que l'on mourra rapidement.

    Noré se surprit à le dévisager à nouveau. Il était plus grand qu'elle maintenant, ses cheveux argentés avaient repoussé. Certes, ils n'étaient toujours pas aussi long que la première fois qu'ils s'étaient rencontrés, mais ils lui arrivaient sous les épaules. Les mèches sur son front tombaient sur ses yeux dorés.

    -Cela fait pas mal de temps que l'on se connaît.

    La remarque le déstabilisa, son regard se déroba un instant, puis, finalement, il sourit :

    -Assez, oui.

    -Cela m'a paru très court, à moi.

    Il éclata de rire :

    -Il faut dire que l'on ne se voit pas si souvent.

    Sa voix avait changé aussi. Plus profonde, plus grave et cela lui plaisait. Noré, en revanche, avait fui tout ce qui aurait pu lui montrer ce qu'elle était devenu. Elle craignait de voir l'ampleur des dégâts que le capitaine lui avait infligé. Elle ne devait pas être bien jolie à voir, mais ce n'était pas vraiment la question. La jeune fille se secoua :

    -Alors ? Prêt pour le grand saut ?

    Noré ajouta sur le ton de la confidence :

    -N'ai pas peur, je te protégerais.

    -Moi ? Peur ? Un Aurien n'a jamais peur.

    Elle sourit. Au moins, il avait gardé son humilité. L'adolescente posa la pierre au sol, Xilanos y déposa sa salive. Elle se surpris à respirer plus profondément lorsqu'il énonça clairement :

    -Le chef Aurien Xilanos souhaite se rendre au siège de la Métane.

    La pierre s'élargit, enveloppa leur pieds et remonta. Noré ferma les yeux, attendant une douleur quelconque qui lui signifierait que la mort était proche. Rien d'anormal ne se produisit et quand elle rouvrit les yeux, ils se tenaient dans une ruelle des plus banal.

    -On est où, là ?

    Pour toute réponse, Xilanos pointa un doigt au-dessus du toit derrière elle. Noré se retourna et aperçut le sommet d'une tour. Elle quitta la petite rue sans le quitter des yeux. C'était une tour dont le sommet était sculptée en une gigantesque flamme. Trois autres plus petites l'entouraient, reliées à elle par des couloirs suspendus, dont les murs étaient des vitraux représentant un ciel d'orage, un ciel bleu et un ciel de nuit. Le tout était encerclé par une muraille de pierre bleu avec une porte gardée par deux chevaliers. Ils étaient au siège de la Métane.

    Xilanos s'approcha d'elle et demanda avec douceur :

    -Ça va ?

    Noré avait pâlit et serrait les poings à s'en rompre les articulations. Si elle avait eu un peu plus de courage, cette histoire aurait pu se finir depuis des mois, Titian serait encore vivant.

    -Je suis profondément énervée.

    Xilanos garda le silence, alors que la rage qu'elle nourrissait contre elle-même lui faisait monter les larmes aux yeux. Cependant, l'adolescente ne pleura pas et inspira profondément. Comme elle semblait se détendre, l'Aurien lança :

    -Je l'imaginais pas comme ça.

    -Quoi donc ?

    -Le siège.

    -Moi non plus. C'est...particulier.

    -C'est moche.

    -Aussi.

    Ils restèrent un instant à contempler le bâtiment du siège, puis l'Aurien lança :

    -Je suppose que l'on doit trouver un moyen d'entrer. 

    -Oui et ça m'étonnerait qu'ils nous laissent entrer même si on demande gentiment.

    Ils réfléchirent sur place, puis son compagnon s'éloigna. Quelque chose semblait avoir attiré son regard. Noré aperçut un petit attroupement au coin d'une rue, observant une grande affiche à l'écriture rouge. Xilanos traversa la foule et disparut quelques instants, puis revint pour lui faire signe de la rejoindre. Il lui prit la main pour ne pas la perdre dans la masse :

    -Il faut que tu vois ça.

    Ils étaient encore assez loin quand elle put lire le titre de l'affiche écrit en capitale :

    Évacuation de toute la population Sinienne de la Métane

     

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