• Chapitre 32

    L'un des hommes alla voir celui qui semblait être le chef :

    -On devrait mettre plus de bois.

    -Non. L'odeur et la fumée vont attirer les Tiarks. On doit faire au plus discret. Allez préparer de quoi éteindre le feu.

    L'homme obéit, suivit de plusieurs autres. Noré se demanda où étaient les loups. Elle ne distinguait plus la herse. L'obscurité de la nuit était tombée, seules les flammes éclairaient le village. Soria tirait sur ses liens, les cheveux collaient au visage par la sueur et les larmes :

    -Arrêtez ! Pitié !! Je vous en prie !!

    Puis elle poussa un cri long et déchirant comme si cela pouvait réveiller ses bourreaux. Noré pleurait aussi, ne sachant plus que faire. Elle se jeta brusquement en avant, espérant que la surprise ferait lâcher ses deux gardiens, mais ils tinrent bon. Elle se rejeta en arrière, essayant de leur donner des coup de pied. La jeune fille se mit à crier de rage. Quand elle voulut mordre le bras d'un des hommes, l'autre lui saisit les cheveux et lui maintint la tête en arrière. Noré comprit qu'elle n'avait plus qu'une seule solution. Elle inspira à fond et hurla à plein poumon :

    -Titian !!

    Allongé au sol, le visage tournait vers elle, Noré crut voir une crispation au coin de ses lèvres. Elle l'appela encore et encore. Il semblait lutter pour se réveiller. Ses deux gardiens l'ignoraient, fascinés par ce qui se déroulait au bûcher et tant qu'elle ne se débattait plus. Finalement, le pirate ouvrit les yeux. Il la regarda, essayant de rassembler ses idées, comprendre ce qu'il se passait.

    Puis, les cris de Soria lui parvinrent. En relevant la tête, il put la voir entourée des villageois qui trouvait plus intéressant une femme qui brûle qu'un homme inconscient. Titian se leva, titubant, sans quitter Soria des yeux. Sur son visage se lisait l'horreur et la terreur. Il marcha d'un pas mal assuré et butta sur un des seaux d'eau que les hommes avaient ramené. Le pirate s'en empara et se le déversa sur la tête.

    Le bruit attira l'attention de quelques hommes. Ils s'entre-regardèrent visiblement surpris de voir le pirate debout. Se reprenant, ils se jetèrent sur lui pour l'arrêter. Titian étala le premier d'un violent coup de coude dans le nez. Il se saisit d'un second seau et s'en aspergea à nouveau. Puis le saisissant par l'anse, l'envoya sur le visage d'un autre. Un troisième tenta sa chance, mais il se retrouva plié en deux par un violent coup de poing dans l'estomac. Titian en profita pour lui attraper la tête et l'écraser contre son genou. Cette dernière démonstration dissuada les autres et ils restèrent hésitants pendant que le pirate, complètement réveillé par ses douches consécutives, se mit à courir vers le bûcher. Noré l'encouragea de toutes ses forces. D'un bond il traversa les flammes et se retrouva contre Soria. Celle-ci arrêta de crier instantanément. Noré la vit lui murmurer des paroles inaudibles. Il lui répondit en tentant de défaire les liens. Quand la jeune femme poussa un hurlement, il regarda autour de lui avec frénésie. Le bas de la robe de Soria avait pris feu. Le garçon l'arracha vivement et reprit sa besogne. Les villageois, pendant ce temps avaient repris leurs esprits. Le chef cria :

    -Faites barrières ! Les laissez pas sortir ! Venez tous !

    Noré se demanda si les gardiens allaient suivre le mouvement. Entre ses dents, elle invectiva les Tiarks qui ne se décidaient pas à venir. Comme pour répondre à son impatience, une giclée d'un liquide chaud et poisseux vint asperger le côté gauche de son cou et de son visage. En se tournant, elle vit qu'un loup tenait la gorge de son gardien dans sa gueule. L'homme, dont le regard reflétait encore la surprise, la lâcha pour tenter de se libérer. Mais le Tiark serra les mâchoires. Noré grimaça en entendant les os se briser. Des hurlements surgirent d'un peu partout. Deux autres Tiarks avaient surgi. Elle vit son autre gardien s'enfuir à toutes jambes. Reprenant espoir, elle ne perdit pas de temps. La jeune fille saisit la flûte à sa ceinture et souffla de toutes ses forces. Les loups stoppèrent net. Un silence surnaturel se posa sur le village. Les habitants qui fuyaient s'arrêtèrent dans leur élan. Peu sûrs de savoir s'ils devaient fuir ou si cela risquait au contraire d'attirer les Tiarks sur eux. Les loups s'approchèrent de l'adolescente, la reniflèrent et, soudain, repartirent à la chasse. Les villageois se remirent à fuir en hurlant. Noré arrêta de souffler pour se précipiter vers les seaux d'eau et éteindre le feu. Elle dut saisir l'anse du seau à deux mains pour le soulever. Titian avait réussi à débarrasser Soria de ses liens, ce qui ne les avaient pas avancé à grand chose. Enlacés, ils suivaient la progression de Noré en lui criant des encouragement. La jeune fille lança un premier seau, les flammes diminuèrent sans s'éteindre. Elle courut chercher un second seau et le vida sur les flammes. Ne pouvant attendre plus longtemps, ses compagnons en profitèrent pour sauter. Ils s'écroulèrent au sol pris de quinte de toux. Titian s'activa à éteindre le feu sur les vêtements de Soria, alors que Noré retournait chercher un seau. Elle revint le déverser sur eux. Ils étouffèrent les dernières flammes sur leur vêtements en tapant dessus. Puis, ils se levèrent, Soria soutenu par Titian et se dirigèrent vers la sortie de la ville. Les loups ne leur prêtèrent aucune attention.

    -Qu'est-ce que c'est que ça ?

    Titian parlait du tas de piège qui s'était formé au fur et à mesure que Noré les avait enlevé.

    -Les Tiarks ne peuvent pas s'en approcher. Je les ai retiré pour qu'ils entrent dans le village.

    Le pirate fit asseoir Soria contre le mur et s'approcha du tas. Il prit un piège dans chaque main en ordonnant :

    -Aide-moi.

    Sans savoir où il voulait en venir, Noré copia ses gestes. Assise au sol, Soria semblait s'être endormi. Ils disposèrent les pièges autour d'elle en un large demi-cercle. Des ombres avaient commencé à jaillir de la forêt. Certains des loups retombèrent dans les pièges, mais d'autres suivirent le chemin dégagé. Noré porta la flûte à ses lèvres et souffla. Comme la première fois, les loups stoppèrent. La regardant, reniflant l'air, puis passèrent les portes de la ville. Le pirate s'était assis à son tour et tenait Soria contre lui. De sa manche, il essuya ses larmes et déposa un baiser sur ses cheveux. La jeune fille vint près de lui. Titian demanda à voix basse :

    -C'est quoi cette flûte ?

    Noré raconta sa rencontre avec les Tiarks et les pouvoirs de l'instrument. Il ne fit aucune remarque, ne fit aucun sarcasme. Il était juste assis là, la terreur qui l'avait saisi se lisait encore dans ses yeux. Il avait l'air si fatigué que Noré en eut le cœur serré.

    -On devrait dormir. On ne craint plus rien maintenant.

    Elle n'avait pas fini sa phrase qu'il avait déjà fermé les yeux. La captivité avait dut être éprouvante et, sans doute, étaient-ils aussi affamés qu'elle. L'adolescente passa ses bras autour de Soria, posa sa tête sur son épaule et ferma les yeux.

    A son réveil, le monde portait cette teinte grise du jour. Noré se redressa. Elle resta sans bouger, surprise de se trouver sur un sol calciné. En observant les alentours, elle vit qu'on l'avait porté dans la clairière brûlée. Les Tiarks étaient assis un peu partout, discutant paisiblement. La jeune fille chercha ses amis et finit par apercevoir Titian qui parlait avec Azaque. Soria était assise plus loin, contre un arbre, parlant à Cil et d'autres femmes que l'adolescente ne connaissait pas. Korrane s'approcha d'elle :

    -Bien dormi ?

    -Apparemment. Je ne me suis même pas rendu compte que l'on me déplaçait.

    -Je vais prévenir tes amis.

    Il s'éloigna vers Titian, lui dit quelque chose et le pirate se tourna vers Noré. Il la rejoignit :

    -Réveillée ?

    -Non, somnambule.

    Titian lui décocha un violent coup de pied dans le genou. Elle cria et se frotta la jambe en grimaçant de douleur. Le pirate se gratta la tête :

    -Et maintenant ?

    La jeune fille lui tira la langue et regarda Soria :

    -Elle va bien ?

    -Elle a failli faire une fausse-couche.

    -Vraiment ? Failli ?

    Titian s'accroupit près d'elle :

    -Ouais, ils lui ont donné une potion. Encore un truc de sorcière. Elles sont un peu trop présentes dans le coin, je n'aime pas trop ça.

    -Pourquoi ? Visiblement, elles aident plutôt les gens.

    Il eut une grimace peu convaincu et bailla. Azaque s'était approché et s'accroupissant à son tour :

    -Tu vas bien ?

    -Oui, ça va. Titian me disait que vous aviez donné une potion à Soria, c'était quoi ?

    Le Tiark s'assit plus confortablement :

    -Cela empêche de perdre les petits. A force de passer son temps à se changer en loup et en homme, il n'était pas rare que les petits ne naissent pas. A une époque, il arrivait que seulement deux Tiarks sur dix accouchent sans problèmes. En plus, on nous chasse, la vie en forêt n'est pas facile pour tout le monde. Sans compter les périodes de famine. Sans cette potion, on serait une espèce éteinte à l'heure qu'il est.

    -Mais comment vous avez fait pour contacter les sorcières ? Je croyais qu'elles étaient introuvables ?

    -C'est une longue histoire...

    Noré ne cacha pas son impatience :

    -Vas-y, raconte. 

    Titian s'étira en lâchant :

    -Oh, putain.

    Et s'écroula sur le sol, les mains croisées derrière la tête et les yeux fermés. Azaque eut l'air ravi de pouvoir raconter son histoire :

    -Tout commença avec Korrane. Lorsqu'il fut nommé chef, il y a longtemps...

    Le pirate bailla ostensiblement, le Tiark l'ignora et continua :

    -Il était encore tout jeune, mais voyant la gravité de la situation, il s'est lancé à la recherche d'un moyen pour sauver les Tiarks. On raconte qu'il explora toutes les îles des Terres Sanglantes. Pendant des années, il erra sans rien trouver. Puis un jour qu'il escaladait une montagne, le ciel s'éclaira brusquement. La lueur était tellement violente qu'elle lui brûla les yeux. Il y avait aussi la chaleur, si forte que Korrane crut qu'il allait brûler sur place. Mais soudain, tout s'arrêta et il entendit des voix de femmes. Il venait de découvrir la cachette des sorcières. Ce qui l'avait rendu aveugle n'était autre qu'un gigantesque oiseau de feu, leur protecteur. Admiratives devant sa persévérance et son courage...

    Titian le coupa de nouveau :

    -Et bin, il en faut peu...

    Noré lui décocha un coup de poing sur la jambe pour le faire taire. Azaque reprit :

    -Admiratives donc, les sorcières acceptèrent de parler avec lui. Leur ayant expliqué la cause de son voyage, Korrane leur demanda de l'aide. Elles furent touchées par sa cause et s'employèrent à trouver un remède. Depuis, à intervalle régulier, on trouve des caisses de ces potions à l'orée de nos bois.

    Titian demanda sans ouvrir les yeux :

    -Et l'aveugle ? Il est rentré comment ?

    -Elles l'ont ramené avec l'aide de l'oiseau de feu. Pile où nous nous trouvons.

    Le pirate se redressa et observa le cercle :

    -Mouais.

    Comme il se levait, Noré lui demanda :

    -Où tu vas ?

    -Voir Soria.

    -Je viens. Merci, Azaque, pour l'histoire.

    -De rien.

    Elle se mit debout et rejoignit le pirate. Ils s'assirent près de la jeune femme.

    -Ça va mieux ?

    La Saldrian lui sourit faiblement pour toute réponse et se tourna vers le garçon :

    -Déçu ?

    -De quoi ?

    -Qu'ils soient toujours là ?

    Il haussa les épaules nonchalamment et lui prit la main. Soria poursuivi :

    -J'espère que tu es heureux. Tu as pu en profiter pour raccourcir encore ma robe.

    -Maintenant, tu sais ce que veux dire raccourcir. 

    Soria lui fila un coup de poing dans l'épaule. Titian se massa l'endroit douloureux, sans vraiment comprendre pourquoi il s'était fait frapper. Elle reprit la parole :

    -On devrait reprendre la route et chercher un moyen de rentrer en Métane.

    -Je pense que tu devrais te reposer encore.

    Le visage de la jeune femme s'adoucit au paroles du pirate :

    -Non, je vais mieux. Vraiment.

    Noré osa poser la question principale :

    -D'accord, mais comment entrer en Métane ? On garde l'idée de la brèche que tu as utilisé pour partir ?

    Avant que Soria n'ouvre la bouche, Titian s'adressa aux Tiarks restés à proximité :

    -Azaque nous a dit que l'on vous livrait des caisses de potion.

    Une des femme répondit avec méfiance :

    -Exact.

    -Qui met ces caisses là ? Je ne pense pas que les sorcières se donnent la peine de les déposer elles-même.

    -Non. C'est un aéronef qui les transporte.

    -Et il va où cet aéronef ?

    -Sur les quelques îles de Terres Sanglantes qui contiennent des villes et villages.

    -Il transporte quoi ?

    -De tout. Vivres, vêtements, potions, tout ce qui peut se vendre.

    -Mais, je suppose que tout cela se trouve difficilement en Terres Sanglantes.

    -En effet, l'approvisionnement se fait en Métane. C'est le seul engin qui ait la permission de traverser la frontière.

    La satisfaction se peignit sur le visage du pirate :

    -Voilà, je crois que j'ai trouvé comment rentrer sans risque.

    Ses compagnes approuvèrent, soulagées d'éviter de nouveaux périples. La femme qu'il avait interrogé, demanda :

    -Si vous partez, désirez-vous des vêtements ?

    Noré observa Titian aux habits brûlés, Soria à la robe déchirée et elle-même dont les vêtements ne se portaient pas mieux. Elle remarqua cependant, qu'on l'avait lavé et que ses blessures étaient soignées. La Saldrian répondit :

    -Je pense que l'on va accepter.

    On leur apporta des vêtements et ils se changèrent. Soria prit soin de choisir un pantalon pour narguer Titian. Azaque leur apporta un plateau de viande cru :

    -C'est tout ce que nous avons pour vous.

    Ce qui inquiéta Noré fut de savoir d'où venait la viande. Comme si ses doutes étaient visibles sur son visage, Azaque ajouta :

    -C'est pas de la chair humaine, au cas où vous vous poseriez la question.

    Ils prirent chacun un morceau et ne mirent pas longtemps avant de mordre dedans. Noré ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle avait mangé. La viande froide était dur à mastiquer, mais elle ne s'en plaignit pas. Cependant, la jeune fille ne se resservit pas. Titian frotta ses mains sur ses nouveaux vêtements :

    -Bon, on va se mettre en route.

    Azaque qui en avait profité pour manger un bout près d'eux, demanda :

    -Allez où ?

    Noré répondit :

    -On va essayer d'atteindre l'aéronef qui livre les caisses.

    -Je peux vous emmener. Si Korrane le permet.

    Soria leva les yeux au ciel avec soulagement :

    -J'avoue que je serais plutôt soulagée de ne pas avoir à tourner en rond dans ses bois.

    -Je vais lui demander.

    Il s'éloigna et Noré en profita pour interroger Titian :

    -Comment on va monter dans l'aéronef ? Tu crois qu'ils prennent des passagers ?

    -Même si c'était le cas, ce serait payant. Aussi on va faire ce que l'on fait de mieux. Entrer en douce.

    -A quel moment cela à marcher pour nous ?

    -Ne soit pas pessimiste, Noré.

    Azaque revint pour annoncer :

    -Il est d'accord. Venez, je vais vous emmenez là où les caisses sont déposées.

    -Alors en route.

    Titian saisit Noré et Soria par le bras pour les entraîner à la suite d'Azaque. Il semblait avoir hâte de partir. Le voyage fut plus court que ce à quoi ils s'étaient attendus. Quand ils sortirent du bois, une plaine s'étendait devant eux. L'herbe était rase et jaunis. Un village se tenait à quelques mètres. Une clôture d'argent était posée le long du bois pour que les Tiarks n'approchent pas.

    -D'habitude les caisses sont posées là.

    Azaque désignait un écart entre la clôture et les bois.

    -Les livraisons ne sont pas régulières. On envoie quelqu'un chaque jour pour vérifier.

    Titian pinça les lèvres :

    -Donc, tu ignores quand viendra l'aéronef. Un jour, une semaine, plus peut-être. 

    Le Tiark acquiesça avant de conclure :

    -Je vous laisse. Vous devriez aller au village, ils vous renseigneront sans doute.

    Il fit demi-tout et Noré eut le temps de lui crier :

    -Merci pour tout.

    Azaque tourna la tête avec un sourire gourmand :

    -Merci à toi. Cela faisait longtemps que l'on bavait sur les villageois.

    Noré se sentit mal à l'aise. Elle n'avait plus pensé au village depuis l'attaque. Azaque s'enfonça dans le bois et disparut. Les trois compagnons enjambèrent la clôture et se dirigèrent vers le village. Un villageois occupait à couper du bois, les regarda s'approcher. Il les fixait d'un air soupçonneux. La jeune fille remarqua qu'après s'être attardé sur Soria, l'homme s'intéressait à son bracelet. Titian dut s'en apercevoir car il claqua des doigts pour qu'il reporte son attention sur lui :

    -Bonjour. Nous voudrions des renseignements sur l'aéronef.

    -L'aéronef ?

    -Oui, celui qui vient déposer des marchandises.

    Le villageois ne répondit pas tout de suite, comme s'il ignorait de quoi il parlait. Son regard s'égara à nouveau sur le bracelet de Noré :

    -Oui, il vient demain...dans l'après-midi.

    -Bien, merci.

    Ils s'éloignèrent gardant l'homme à l'œil. Le pirate murmura aux filles :

    -Restons sur nos gardes.

    -Il fixait mon bracelet. Tu crois que le capitaine est là ?

    -Non, il ne quitte pas la mer. En revanche, s'il a pu atteindre les centaures pour qu'ils l'aident, il n'est pas impossible qu'il ai pu trouver d'autres soutiens.

    Soria quitta l'homme des yeux pour conclure :

    -Alors, il ne faut pas que l'on s'attarde.

    Noré jeta un coups d'œil par-dessus son épaule. L'homme les regardait partir sans bouger et elle crut bien le voir sourire.

    -Qu'est-ce qu'on fait ?

    Titian avait déjà décidé :

    -On va dormir à l'orée du bois, derrière la clôture. Je doute que les villageois oseront s'approcher.

    Soria l'arrêta :

    -Pour les villageois d'accord, mais les Tiarks ? Nous serons du mauvais côté de la barrière, si tu vois ce que je veux dire.

    -Noré a sa flûte.

    -Une flûte ?

    -Elle te racontera.

    Ils repassèrent la barrière et s'assirent sous les arbres. Noré finit par proposer :

    -On devrait essayer de trouver à manger.

    -Je m'en occupe.

    Titian sauta de nouveau la clôture et Soria lui lança alors qu'il retournait vers le village :

    -Va pas te faire prendre.

    Elles patientèrent et Noré en profita pour lui raconter ce qu'elle avait déjà raconté à Titian. Il revint plusieurs heures après. Ses compagnes avaient commencé à s'inquiéter :

    -Où tu étais ?

    -Si vous croyez que c'est facile d'entrer chez les gens comme ça.

    Il déposa au sol un chiffon dont les quatre coins étaient attachés.

    -Ah oui, tu ne t'ais pas endormi.

    -Comment ça ?

    -Rien.

    Il bailla et s'étira, tandis que Noré ouvrait avidement le chiffon. Du pain, des fruits, du fromage le remplissait. Elle voulut crier de joie :

    -A ce prix là, tu t'absentes autant de temps que tu veux.

    Ils se jetèrent sur la nourriture comme les affamés qu'ils étaient. Le jour redevint obscurité et ils se blottirent les uns contre les autres pour dormir. Leur sommeil fut si profond que même si un Tiark était venu les renifler, ils ne s'en seraient pas aperçu. Le lendemain, ils restèrent sagement près de la clôture. Aucune perturbation ne sembla agiter le village, ce qui les rassura vis à vis du capitaine. Si celui-ci les avait rallié à sa cause, les villageois auraient sans doute déjà agis.

    Une ombre gigantesque passa, soudain, au-dessus d'eux. Noré leva la tête et découvrit avec émerveillement, l'immense ballon. Il flottait dans les airs, attaché par de nombreuses cordes à une navette de bois. Des hélices d'un métal au relief bleu, caractéristique du métal des sorcières, tournaient lentement à l'arrière. L'aéronef se posa entre les bois et le village, tel un énorme animal qui viendrait se mettre au repos. Une passerelle s'abaissa de la navette qui ressemblait à un navire. Des hommes se déversèrent sur l'herbe, transportant caisses et sacs.

    -On y va.

    Suivant l'ordre de Titian, ils se dirigèrent à grands pas vers l'engin. Les hommes ouvraient leur cargaison et les villageois formaient déjà une foule compacte autour des marchandises. Une partie de l'équipage transporta des caisses vers l'endroit que Noré et ses compagnons venaient de quitter. Les potions pour les Tiarks, sans aucun doute. Ils profitèrent de l'agitation pour se glisser à l'intérieur de l'aéronef. La passerelle donnait dans une grande pièce, dont il était difficile d'évaluer les dimensions tant elle était encombrée de caisses de toutes tailles. Des sacs, des cages, des tables, des bougies et beaucoup d'autres marchandises, qui se mêlaient dans un brouillon de forme et de couleur. Ils leur fut facile de trouver des cachettes . Noré se cala entre deux caisses et attendit. Les hommes firent quelques passages dans l'entrepôt. Ensuite, ils rentrèrent les marchandises, refermèrent la passerelle et empruntèrent un escalier qui menait à une petite porte. Les trois amis entendirent les hélices se mettre à tourner. Quand la machine s'envola et que plusieurs minutes s'écoulèrent sans incident, Soria lâcha :

    -Non...décidément c'est trop facile.

    De là où elle se tenait, Noré pouvait les voir tous deux distinctement. Ils n'étaient qu'à quelques mètres d'elle. Dans son for intérieur, elle ne put s'empêcher de penser que Soria avait raison. Bien sûr, il n'y avait aucune raison qu'il en fut autrement. Pourtant, peut-être en avaient-ils perdu l'habitude, mais les trop longs moments de tranquillité étaient devenus suspects. Ils étaient des passagers clandestins. Non pas que cela impliquait nécessairement qu'ils se fassent prendre, mais l'équipage n'étaient-ils pas méfiant ? Que des êtres des Terres Sanglantes tentent d'aller en Métane par ce moyen ne devait pas être nouveau. Alors qu'elle se perdait dans ces réflexions, Titian se gratta la tête et s'étira. Tandis qu'il étendait ses bras au-dessus de sa tête, des mains jaillirent et s'en saisir. Noré sentit qu'on l'attrapait à bras le corps et cria de surprise. Par réflexe, Soria voulut saisir un de ses anneaux, oubliant que ses bracelets étaient restés entre les mains des malades. Deux hommes l'immobilisèrent. Les trois cessèrent de se débattre quand ils entendirent un rire victorieux. Un homme se tenait devant eux, les mains sur les hanches :

    -Voyons, voyons. Un pirate, une Saldrian et ... 

    Il regarda Noré en souriant sans terminer sa phrase, voulant sans doute profiter de cet instant de gloire. Instant écourté par Titian qui, toujours assis par terre, les bras en l'air bloqués par deux hommes sur la caisse derrière lui, termina la phrase :

    -Un gnome, un lutin, une fée...quoique non, j'ai vu des fées et croyait moi ça n'a rien à voir avec ça.

    Il désigna Noré de la tête. Pour toute réponse, l'homme lui envoya un coup de pied dans les côtes. Le garçon se plia en deux sous la douleur. L'homme se redressa :

    -Je poursuis. Je me nomme Bven, je suis le dirigeant de cet aéronef et voici mon frère Uten.

    Un autre homme sortit de l'ombre, pistolet au poing, immobile, le regard vide. Noré se sentit effrayée rien qu'à le voir. Bven poursuivit :

    -Nous avons eu vent qu'un certain pirate offrait une forte récompense pour un bracelet et la fillette qui va avec.

    Titian ne put s'empêcher de répliquer :

    -Oh, et vous l'avez trouvé ?

    Bven continua de sourire, sûr de lui :

    -C'est cette fillette.

    -Vous êtes sûr ? Il faudrait pas vous tromper. Il doit y en avoir des tas de fillette avec des bracelets.

    Le dirigeant devint cynique :

    -Qui se promène avec un pirate portant la marque du second et une Saldrian ?

    Toujours très calme, Titian haussa les épaules :

    -Evidemment, si on vous facilite la tâche aussi.

    Bven tapa dans ses mains avec satisfaction :

    -Bien. Maintenant que vous savez pourquoi vous êtes là, nous allons devoir vous endormir, afin de vous déplacer avec plus de sécurité. Lorsque l'on vole à plusieurs mètres au-dessus du sol, on apprend à être prudent. Une dernière requête avant de sombrer ?

    Titian lança :

    -Oui, juste que je sache contre qui tournait ma rage, c'est un des villageois qui vous a renseigné, n'est-ce-pas ?

    -Contre une part de la récompense, exact. Vous vous êtes montrés bien imprudent.

    -C'est ça. Encore une chose, vous pourriez dire à vos hommes de me tenir autrement ? Je me sens ridicule.

    A cet instant, Noré sentit qu'on lui plaquait un tissu sur le visage et elle s'endormit.

     

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