• Chapitre 28

    Lutinor avait les yeux humides de fatigue. Il posa un regard fatigué sur Milen qui avait piqué du nez depuis longtemps. Cela faisait bien dix minutes qu’ils lisaient. Mais comment il a fait Charon pour ranger ? Le jeune homme observa les piles de documents sans réellement les voir. Comment il ferait Charon pour venir me sauver ?… il claquerait des doigts et se serait réglé. Lutinor fit la moue. D’accord, mais moi, je fais comment ? Ses yeux revinrent à la feuille. En lisant. Il faut que je trouve où les pouvoirs on était planqué. Il se détourna à nouveau pour regarder par la fenêtre. Le problème, c’est qu’il faut espérer qu’ils soient dans le coin, parce qu’on peut pas sortir. Mais si ils étaient dans le coin, comment Charon ne les aurait pas ressenti. Figé dans sa réflexion, Lutinor finit par se mettre à rêvasser sans s’en rendre compte. Il finit par soupirer en battant des paupières, réalisant qu’il avait gardé les yeux ouverts un bon moment. Charon n’a rien sentit de bizarre dans le coin. Rien qui… Lutinor battit à nouveau des paupières, les yeux sur le mur, alors il se leva d’un bond.

    -Mais si, il y avait quelque chose !

    Il se précipita dehors, se dirigeant vers le mur dont il avait appris à connaître chaque fissures à force de le regarder. Charon ne connaissait pas ce signe. Il a dit lui-même que ce devait être ancien, bien plus ancien que tout ce que Hadès lui avait enseigné. Et qui a-t-il de plus ancien que les dieux d’origine ? Contrairement à toutes les autres fois, lorsqu’il arriva devant le mur, il vit clairement le signe comme gravé dans la pierre. Il savait. D’une manière ou d’une autre, le dieu savait que je perdrais mes pouvoirs. Le coeur du jeune homme battait à tout rompre. Mais comment je fais ? Je le touche ou… ?

    Dans la chambre de Charon, Milen se réveilla en sursaut au milieu d’un cauchemar. Ne voyant pas Lutinor dans la pièce, elle se leva lentement en l’appelant. Sans réponse, elle continua de le chercher jusqu’à le trouver planté devant le mur. Cependant, quelque chose dans sa posture la mis en garde. Ce n’est pas Lutinor. Comme il bougeait pour se retourner, Elle se réfugia derrière un arbre, soudain effrayée. Le dieu ne tarda pas à apparaître devant elle :

    -Tu as accompli ton rôle avec perfection. Tu as pu le mettre sur la voie.

    Milen tomba à genoux. La puissance du dieu était telle que même elle pouvait la ressentir.

    -Relève-toi. Je dois te récompenser. Que veux-tu ?

    La veille femme n’osa pas lever les yeux, même quand, voyant qu’elle ne bougeait pas, le dieu s’accroupit devant elle.

    -Que dirais-tu de retrouver ta jeunesse ? Afin de pouvoir servir à nouveau le dieu qui t’était destiné ?

    Elle leva les yeux, croisa le regard brûlant du jeune homme et se détourna. Amusé, le dieu demanda encore :

    -Que veux-tu ?

    Milen n’hésita pas une seconde fois :

    -Sauver Charon.

    Le dieu eut un sourire si différent de celui de Lutinor que Milen eut du mal à croire que ce visage est un jour était celui du jeune homme. Un portail apparut par lequel le dieu entraîna la vieille femme.

    Milen ne s’était certainement pas attendue à se retrouver directement dans la cellule du Sans-âme. Ce fut bien la première fois qu’elle vit celui-ci bouche-bée dans une expression d’incompréhension totale. La vieille femme et le dieux s’approchèrent. Charon ne réalisait toujours pas ce qu’il avait devant les yeux lorsque Lutinor toucha ses chaînes du doigt. Celles-ci tombèrent en poussière. Charon scrutait maintenant le jeune homme avec plus de calme. Ses pensées se remettaient en marche. Ce n’est pas Lutinor. C’est le dieu d’origine. Comment ? Il sentait les mains tremblantes de Milen accrochées à son bras. Charon se sentait oppressé par le pouvoir du dieu et n’osait pas imaginer ce que cela pouvait être pour un humain. Il se releva en tenant Milen, l’obligeant à se tenir debout. Le dieu qui avait pris le corps de Lutinor leur sourit :

    -Merci à tous les deux.

    Charon hocha la tête, baissa les yeux.

    -Quelle récompense souhaitez-vous ?

    Milen réussit à se ressaisir suffisamment pour laisser sortir la voix coincée dans sa gorge. Malheureusement, ce fut trop bas pour que Charon puisse entendre. Il fronça les sourcils pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas saisi. La porte s’ouvrit à cet instant, laissant entrer dieux et divinités. A leur tête, une Sans-âme annonça :

    -Le Dieu Wehiodrik vous attendez. Il souhaite vous voir.

    Comme le dieu d’origine souhaitais les suivre sans résistance, Charon commença à s’avancer. Milen continua de s’accrocher à lui et répéta :

    -Il faut le tuer.

    Charon eut à peine le temps de répondre avant d’être cerné :

    -Je ne peux pas tuer Wehiodrik.

    -Non, lui.

    Le Sans-âme lui jeta un regard choqué. Lutinor ?

    -Avancez.

    Poussez par le petit groupe, ils progressèrent dans ce qui semblait être un vaste palais. Lorsqu’ils débouchèrent dans une vaste salle sans murs ni plafond, ils découvrirent le dieu imposant assis sur un trône. Les dieux et divinités qui les avaient accompagné jusque là s’arrêtèrent respectueusement à l’entrée tandis que Lutinor avançait effrontément. Ce n’est pas Lutinor. Son cœur se serra en se demandant ce qui avait pu arriver au petit dieu. Milen et lui continuaient de suivre le jeune homme, mais s’arrêtèrent à trois bons mètres derrière lui quand lui-même stoppa pour contempler Wehiodrik.

    -Ainsi, tu es revenu.

    -On ne peut pas dire que je ne vous avais pas prévenu.

    Le dieu imposant s’adressa à Milen :

    -Je suis impressionné que vous teniez encore debout.

    Charon sentait les ongles de la vieille femme plantaient dans sa chair, mais il ne s’en préoccupait pas plus que cela. Tout son être était concentré sur le simple fait que respirer était devenu difficile. La puissance des deux dieux d’origine rendait l’atmosphère lourde et électrique. Le Sans-âme n’aurait pas été étonné si la foudre se décidait à tomber. Wehiodrik demanda :

    -Dites-moi, quels mensonges vous a-t-il fait voir, oracle ?

    Ce n’est pas à lui que Milen répondit, au lieu de cela, elle tira plus fort le bras de Charon pour qu’il la regarde. La sueur gouttait entre ses cheveux blancs et c’est la voix hachée par l’effort qu’elle articula dans un murmure :

    -Tu n’étais pas son frère. Tu étais son esclave, une expérience ratée…

    Charon sentit la chaleur d’un liquide poisseux lui éclabousser le visage avant que la tête de Milen ne penche en arrière, laissant apparaître un large sourire béant et sanglant à son cou. Le corps de l’oracle s’affaissa, ses mains lâchant enfin le bras du Sans-âme. Charon ne put bouger un muscle, tellement ce qui venait de se dérouler lui paraissait impossible.

    Le dieu d’origine qui fut Lutinor courut vers le corps en hurlant de douleur. Charon baissa les yeux, aperçut le visage du petit dieu en larme et lorsqu’il se dit qu’il devait le réconforter, la voix de Wehiodrik tonna à en faire trembler le ciel même :

    -Cesse tes petits jeux, trompeur ! De toute évidence, elle n’était pas si dupe que tu l’avais espéré.

    Le dieu lâcha le corps sans délicatesse et s’essuya les yeux :

    -Oh, elle l’était. Mais j’ai sans doute dû laisser échapper quelques brides quand j’ai repris possession de mon corps.

    Charon ne pouvait plus quitter le corps de Milen des yeux, horrifié et impuissant. Il ne put que demander :

    -Qu’est-ce qui est arrivé à Lutinor ?

    Le dieu d’origine eut un sourire glacé et lança une incantation si vite que le Sans-âme ne put que regarder la lame lui foncer dessus. Lorsqu’elle s’arrêta à quelques centimètres de son front, il se permit de recommencer à respirer. Wehiodrik quitta son siège pour s’approcher :

    -Ne crains rien. Il ne peut plus agir désormais.

    Charon se décala de la trajectoire du projectile pour apercevoir le corps figé de Lutinor, une expression de joie haineuse sur le visage. Le cœur lourd, le Sans-âme réalisa que le petit dieu était mort aussi à l’instant où le dieu d’origine avait repris son corps.

    -Je suis désolé, nous n’avons pas pu te protéger.

    Charon leva les yeux sur le dieu imposant :

    -Comment l’avez-vous arrêté ?

    Wehiodrik pointa l’entrée de la salle où les dieux et divinités récitaient des incantations en choeur.

    -Vous ne faites que le bloquer, vous ne le tuez pas.

    Le dieu acquiesça d’un air malheureux :

    -Malheureusement, c’est tout ce que nous pouvons faire. Si les dieux d’origine avaient pu tenir jusqu’à aujourd’hui, nos pouvoirs auraient été suffisant, mais aujourd’hui… je suis le dernier et je suis insuffisant.

    Charon ramena le corps de Milen vers lui comme si le fait de la laisser si près du petit dieu piuvait la souiller.

    -Dans ses rêves, elle l’a vu qui essayer de protéger le monde qu’il avait créé de votre jalousie. Il essayait de me protéger aussi.

    Wehiodrik ne fut pas étonné :

    -C’est un trompeur. Il l’a toujours été. Au début, il jouait de petits tours, mais il s’ennuyait tellement qu’il a vite fallu qu’il étende son pouvoir. Ce n’est que bien tard que nous avons réalisé qu’il avait créé un monde d’obscurité pour y mettre des êtres vides.

    Charon n’avait pas lâché le visage du Lutinor du regard, essayant d’imaginer l’histoire qu’on lui raconté :

    -C’est lui qui a créé le monde des Sans-âmes.

    -Hélas et tu es le premier. Un essai raté. Trop solide pour l’amuser, il t’a asservi. Les Sans-âmes qu’il a créé ensuite étaient des jouets qu’il s’amusait à torturer dans ses jours d’ennui. Il avait trop pris goût à ce sentiment de puissance et il a toujours été le plus inventif. Nous n’avons jamais pu savoir comment il avait créé ce monde. Nous n’avons jamais pu le défaire, ni en sauver ses habitants.

    Le Sans-âme posa la main sur la cicatrice à sa gorge :

    -Nous sauver ? Mais vous pouvez pourtant nous faire sortir.

    Wehiodrik agenouilla sa lourde carrure à côté de Charon :

    -Nous avons fait des essais. Mais il est impossible de sortir plus d’un certain nombre de Sans-âme en même temps et sans sort d’emprisonnement, ils dépérissent et meurent. Il faut des siècles avant que les Sans-âmes ne s’adaptent au monde extérieur et puissent être libéré.

    Charon se tourna vers l’entrée où les incantations étaient récitées sans arrêt :

    -Cela part sans doute d’un bon sentiment, mais avez-vous la moindre idée de ce que les dieux nous font désormais ?

    Wehiodrik répondit tristement :

    -Je m’en doute. Les siècles ont passé. Les dieux d’origine ont disparu et leurs héritiers se dépravent de plus en plus.

    Charon revint au corps de Lutinor :

    -Pourquoi ne pas l’avoir tué à l’époque ? Vous étiez tous là.

    Il nous a devancé. Il nous a toujours devancé. Quand nous avons pris conscience de ces jeux cruels, nous avons voulu le juger, mais il avait déjà mit en place son plan. Il avait inventé ses propres incantations et l’une d’elle allait lui permettre de revenir à une époque où ne ne pourrions plus l’arrêter. A ce moment, c’est vraiment tout ce que nous savions. La seule chose qui nous a importé, fut de te sortir de là. Il ne faisait aucun doute qu’il chercherait à te récupérer pour t’utiliser d’une manière ou d’une autre.

    -Je n’ai aucun souvenir.

    -Oui, nous nous sommes rendus compte que même disparu, il semblait t’influencer. Il pouvait te manipuler, modifier tes souvenirs, jusqu’à ce qu’on ait l’idée de te confier à Hadès. Son royaume étant inaccessible, le trompeur n’a plus eu accès à ton esprit.

    Charon le fixa :

    -Pourquoi Hadès m’a laissé alors ?

    -Je ne crois pas qu’il est été conscient de ce choix.

    Wehiodrik se tourna vers le petit dieu :

    -Je crois qu’il a fini par trouver une faille dans l’esprit même d’Hadès. A partir du moment où son corps est apparut, ses pouvoirs se sont renforcés.

    -Comment a-t-il pu retrouver ce corps ?

    -Une incantation de son invention sans aucun doute. Malgré toutes nos recherches, nous n’avons pas pu déchiffrer la moitié de ses inventions.

    Charon était impressionné :

    -Il a dû tout prévoir. Savoir que je le rencontrerais, que Milen serait son oracle. Que Lutinor perdrait ses pouvoirs.

    Le dieu hocha la tête :

    -Oui, j’avais espéré que ce serait ses pouvoirs à lui qui disparaîtrait. Je n’avais pas réalisé que l’esprit et sa puissance étaient séparés du corps.

    Le Sans-âme se releva :

    -Faites-le, retirez ses pouvoirs maintenant.

    Wehiodrik pointa de nouveau l’entrée :

    -Crois-tu vraiment qu’ils se contentent de le figer ?

    Charon s’impatienta :

    -Pourquoi cela mer autant de temps ?

    Le dieu soupira :

    -Parce que ce n’est pas un simple dieu. Il était là à l’origine… et je crains qu’il ne reste jusqu’à la fin.

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