• 3 - Les carnets

    Soliflane se réveilla en sursaut. Dehors, le jour s’était obscurci. Dans la cheminée, le feu s’était éteint et l’eau refroidit. Hagard, bien que ragaillardit, le prince s’étonnait d’avoir dormi si longtemps. Il bailla, s’étira et s’aperçut qu’il avait un torticolis. Grimaçant, le jeune homme se massa le cou avant de dire :

    -Je suis navré votre altesse. Il semblerait que tous ces aller-retours m'est plus fatigué que je ne le pensais.

    Il ralluma le feu en continuant :

    -Je dois me faire vieux.

    Soliflane rit tout seul, bailla à nouveau :

    -Eh bien, j’ai du mal à me réveiller. En fait, je ne suis pas vieux vous savez, c’est pour ça que je ris.

    Il se racla la gorge, observa l’eau sur le feu, jugea qu’il avait du temps et s’assit par terre au pied du lit ;

    -Ma mère m’a toujours dit que mon sens de l’humour était pitoyable. Oui, elle ne perdait pas de temps à faire semblant.

    Le prince resta un instant silencieux, avant de demander :

    -Vous devez avoir presque cent ans maintenant. Peut-être même cent ans tout rond. Ça va vous faire un choc à votre réveille. Tout a tellement changé. Je le vois en me promenant dans le château. Vos vêtements, ils sont un peu… démodés. Enfin, vous voyez ce que je veux dire.

    Il se tut à nouveau avant d’ajouter soudainement :

    -Ah, mais rassurez-vous, vous êtes magnifique pour une centenaire et puis, si ça peut vous réconfortez, cela signifie que vos parents ont beaucoup plus de cent ans.

    Il la dévisagea, puis sourit :

    -Vous le saviez ? Que vos parents dorment, tout comme vous ? En fait, tout le château est endormi. Alors ne vous inquiétez pas, vous ne serez pas seul à votre réveille. Tous ceux que vous avez connus seront là.

    Soliflane retourna vers le feu, sortit le chaudron pour le vider dans le baquet.

    -Bon, je retourne au puits.

    Puis, en se dirigeant vers la porte :

    -Je reviens vite, ne bougez pas…

    Il fit un pas dans le couloir, s’arrêta, leva les yeux au ciel et se pencha pour repasser la tête dans la chambre :

    -Ce n’était pas voulu, je vous assure. C’est venu tout seul. J’ai un mauvais sens de l’humour, mais tout de même… désolé.

    Le jeune homme sortit et reprit ses aller-retours au puits en maugréant sur l’inexistence d’un mécanisme qui amènerait directement l’eau dans le chaudron. Il fit à nouveau chauffer l’eau, puis la versa dans le baquet. Soupirant, les mains sur les hanches, le prince admira son œuvre :

    -Voilà ! Je crois que cela devrait suffire.

    Il se tourna vers la jeune fille endormie et grimaça avant d’approcher :

    -Je vais vous mettre dans le bain, d’accord ?

    Il chercha sur le visage aux traits fins le moindre signe d’approbation. Bien sûr, il n’y en eut aucun.

    -Très bien, on y va.

    Soliflane retira la couverture, passa un bras sous ses genoux, un autre autour de ses épaules et souleva :

    -Oh, par toutes les fées des bois, que vous êtes lourde.

    Il marcha avec précaution jusqu’au baquet :

    -Je n’ai pas voulu vous offenser, rassurez-vous, c’est normal en fait. Vous saviez qu’un mort pèse beaucoup plus lourd qu’un vivant ? Je ne cherche pas à vous dégoûter, c’est simplement pour vous expliquer.

    Le prince la glissa délicatement dans l’eau :

    -Vous êtes endormie, donc c’est normal que vous pesiez comme une morte….

    Le jeune homme était assez fier de sa tirade, mais réalisa peu à peu ce qu’il venait de dire et son sourire s’effaça :

    -Je vais peut-être me taire pour l’instant.

    Soliflane s’accroupit près du bord pour prévenir :

    -Je vais retirer votre chemise maintenant. Tout va bien, c’est juste pour le bain.

    Il s’exécuta, concentrant son attention sur le linge blanc plutôt que sur la chaire nue qui se dévoilée. Son regard s’égara sans doute un instant vers la taille fine et la maigre poitrine, mais il s’empressa de détourner la tête, gêné. Quand la princesse fut dénudée, Soliflane jeta la chemise au sol :

    -Voilà…

    A nouveau, son visage s’assombrit à la vision d'une rondeur apparaissant au bas du ventre de la jeune fille et du sang séché entre ses jambes. Il respira profondément :

    -Ça va aller, ne vous inquiétez pas. Je vais… je vais m’occuper du lit, d’accord ? Détendez-vous.

    Soliflane se leva, jeta la chemise de nuit au feu, arracha les draps du lit avec une certaine rage et leur fit subir le même sort. Il resta un instant près de la cheminée afin de s’assurer que les flammes ne s’échappent pas. Le jeune homme apprécia l’élan de chaleur que la combustion des draps provoqua et sourit à la princesse :

    -Voilà, ça fait du bien, n’est-ce pas ? Je vais chercher des draps propres, je reviens.

    Il sortit, bien conscient qu’il fuyait le moment où il devrait laver la jeune fille. Le prince tourna un certain temps avant de trouver de quoi changer la literie et lorsqu’il revint, il découvrit une jeune femme debout près du bain. Soliflane ne comprit pas de suite ce qu’il voyait.

    Il s’agissait d’une femme pourvu d’ailes argentées aux cheveux d’or. Elle fixa le prince lorsque celui-ci entra dans la pièce, lui sourit et s’évanouit soudain dans les airs. Le prince laissa tomber les draps qu’il avait dans les bras pour se précipiter auprès de la princesse, curieux de voir ce que la créature avait pu faire. La seule chose qu’il remarqua fut que la jeune fille était propre à présent, le sang était parti, ses cheveux étaient lavés et coiffés.

    -Bon, et bien cela nous aura évité un instant gênant… n’est-ce pas, princesse ? C’était une fée… je crois, des fois que vous vous poseriez la question. Peut-être était-ce la même qui a modifié le sort pour endormir tout le monde.

    Son regard se posa par mégarde sur le ventre arrondit et son humeur s’assombrit :

    -Elle aurait pu se manifester plus tôt par contre.

    Le prince inspira profondément et se força à sourire :

    -Allez, au travail. Profitez encore un peu du bain, le temps que je m’occupe du lit.

    Il alla récupérer les draps et dût s’y prendre à deux fois avant de faire un lit convenable. Lorsque Soliflane fut satisfait de son œuvre, il s’empara d’un drap supplémentaire pour en envelopper la princesse et la sortir du bain. Le prince la posa sur le lit avant de se diriger vers la penderie qu’il ouvrit. Il trouva une longue chemise de nuit et s’en saisit.

    -Vous croyez que la fée va réapparaître pour m’éviter d’avoir à vous habiller ?

    La princesse ne répondit pas, si bien qu’il resta planté sur place, debout, la chemise à bout de bras dans l’attente d’une apparition. Comme aucune fée ne daigna se présenter, le jeune homme dût se résoudre à s’en occuper. Il s’approcha du lit et dit à la jeune fille :

    -Je suis désolé, il semble que nous aurons droit à notre instant de gêne finalement.

    Soliflane la tira doucement par le bras pour la redresser, se cala derrière elle pour lui éviter de retomber et retira le drap. Il prit la chemise posée à proximité, passa un bras après l’autre, puis la tête et reposa la jeune fille. Il saisit les jambes sous son bras pour soulever le corps et pouvoir tirer l'habit. Enfin, lorsqu’elle fut couverte, le prince la glissa sous les couvertures, mais se rendit compte, alors, que les cheveux de la jeune fille mouillés l’oreiller.

    -Ce n’est pas bon. Vous allez tomber malade comme ça.

    Il reprit le drap pour frotter énergiquement la tête de la princesse.

    -Voilà, ça devrait….

    A la vue des cheveux ébouriffés, il ne put s’empêcher d’éclater de rire :

    -Je suis désolé… je vais essayer d’arranger ça.

    Mais il ne put s’arrêter de rire et se laissa glisser près du lit en espérant être plus discret. C’est là que le jeune homme aperçut un carnet qui dépassait de sous le matelas. Il avait dû commencer à glisser lorsqu’il s’était évertué à faire le lit. Soudain calmait, Soliflane s’en empara et l’ouvrit. Il n’y avait que quelques dessins malhabiles fait par une enfant. Il sourit en reconnaissant d’une page à l’autre, un château, des personnages très simples portant des couronnes.

    Le prince revint sur le lit :

    -J’ai trouvé un carnet avec des dessins. C’est vous qui les avez faits ? C’est très joli.

    Il sourit :

    -Je suis sûr que vous n’aviez pas envie que l’on voit ça. Je pense que moi, si j’avais un carnet de cette sorte, j’aurais un peu honte que des inconnus tombent dessus. Pourtant, j’aime bien les vôtres.

    Soliflane feuilleta encore le carnet, toujours souriant, imaginant la fillette qui avait pu dessiner tout cela. Finalement, il fit trop noir pour qu’il puisse distinguer quoique ce soit, alors, le jeune homme se leva :

    -Il est temps de dormir… enfin, je veux dire pour moi aussi. Je vais ranger le carnet, donc ne vous inquiétez pas, il n’est pas perdu.

    Il souleva un coin du matelas pour y remettre le carnet et découvrit que d’autres reposés entre le matelas et le sommier. Le prince murmura avec un mince sourire :

    -J’ai trouvé un trésor.

    Soliflane rangea celui qu’il avait en main, veilla à ce que la jeune fille soit bien couverte et sortit en quête d’un lit pour lui-même. Il finit par en trouver un à son goût dans une chambre assez proche de celle de la princesse. Le prince s’endormit, avec en tête, l’image d’une petite fille allongée par terre, dessinant dans un carnet en chantonnant.

     

    Le lendemain, Soliflane s’occupa principalement d’aérer la chambre, de faire la poussière et de retirer les toiles d’araignée. Alors qu’il enlevait la dernière, il ne put s’empêcher de demander :

    -C’est étrange, vous ne trouvez pas ? Qu’il y ait de la poussière et des toiles d’araignée. Je pensais que la poussière serait suspendue dans le temps et que les araignées dormaient.

    Il balança le chiffon utilisait pour son ménage au feu en continuant :

    -Peut-être que la fée n’a pas pensé à la poussière. Les araignées doivent venir de l’extérieur, comme moi.

    Le jeune homme alla s’installer près du lit en souriant :

    -Elles sont peut-être là pour vous sauver, qui sait ? Les araignées ont peut-être des princes aussi.

    Il rit tout seul avant de réaliser :

    -Si c’est le cas, je viens d’exterminer votre équipe de secours. Je suis navré.

    Soliflane resta silencieux un instant, regarda le plafond, le sol, le feu, revint au lit puis sourit à nouveau :

    -Je peux regarder vos carnets ?

    Le silence suivit sa question. Il conclut :

    -Qui ne dit mot, consent.

    Tout heureux, il souleva le coin du matelas pour en retirer les ouvrages. Le prince s’assit contre le lit et commença à feuilleter. Plusieurs ne contenaient que des dessins d’enfant, puis Soliflane en trouva un remplit d’une écriture grossière et malhabile.

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