• Vingtième battement

     Erlhas se remit à rire en enfilant sa veste. Sur son lit, Sebizan réfléchissait à ce que son ami venait de lui révéler :

     

    -Sérieusement, ça sort d’où tu crois ?

     

    -J’y ai réfléchis un bon moment aussi.

     

    -Et ?

     

    -Tu te souviens de cette fille qui te harcelait ?

     

    Il hocha la tête.

     

    -Quand j’ai demandé à Diaralie de s’occuper du problème, elle n’a pas voulu me dire comment elle s’y prendrait.

     

    Sebizan hocha à nouveau la tête, puis il finit par comprendre :

     

    -C’est à cause d’elle ?

     

    -Je lui ai demandé, elle a confirmé. La fin nécessite les moyens, un truc comme ça.

     

    -Pourtant, ça se voit qu’on est frère non ?

     

    Erlhas posa un regard sur le garçon de taille moyenne, cheveux blonds et yeux bleus qu’était Sebizan avant de revenir à son reflet. Il était grand, les cheveux et les yeux noirs. Il retint un rire :

     

    -T’as raison, la ressemblance et pourtant frappante.

     

    -Ouais, hein ?

     

    -Allez, j’y vais.

     

    -Tu fais bien, t’es en retard.

     

    Un courant sembla lui traverser le cœur et le figea un instant. Il se précipita vers son réveil :

     

    -Tu te fous de moi !

     

    -Oui, complètement.

     

    Erlhas vit qu’il lui restait un quart d’heure. Il s’empara d’un livre qui traîné pour l'envoyer au visage de Sebizan. Celui-ci l'évita en se laissant tomber sur le côté :

     

    -J’ai pas forcément tort, tu sais, il est sûrement réveillé depuis un bon moment, lui. Il a probablement, déjà mangé, lui. Si ça se trouve, il est déjà en train de t’attendre, lui.

     

    -Tu crois ?

     

    Erlhas n’attendit pas la réponse, prit son sac et ouvrit la porte pour sortir quand Sebizan lui lança :

     

    -Pourquoi tu lui a pas dit que tu venais le chercher ou que vous vous retrouviez dans le couloir ? Si ça se trouve, il est encore dans sa chambre là, mais tu peux pas allé frapper parce que t'aurais l'air con. « Je venais vérifier que tu ne m'attendais pas au portail, bon on s'y retrouve dans deux minutes ? ». ça aurait….

     

    Pour couper court, Erlhas lui répliqua en refermant la porte derrière lui :

     

    -Parce que je suis débile !

     

    Il s'arrêta quelques secondes dans le couloir pour jeter un regard vers la porte de Nouphilo. Tout était silencieux et immobile. Il haussa les épaules et se précipita dans les escaliers. L'adolescent courut jusqu'au portail et découvrit Nouphilo assit par terre en train de lire. Oh merde, non, non, non…. il accéléra encore pour le rejoindre. Une fois devant lui, le responsable se plia en deux pour reprendre son souffle :

     

    -Désolé, désolé… je suis en retard ? T’as attendu longtemps ?

     

    Nouphilo lui sourit et se relevant :

     

    -Non, non, t’inquiètes.

     

    Il a pas sa casquette. Erlhas le fixa en souriant.

     

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

     

    Lui dis pas, il va vouloir aller la chercher. À moins que ce ne soit volontaire. Bien sûr et demain, Sebizan sera premier de la classe et tu commenceras à lire « le Seigneur des anneaux ».

     

    -Rien, t’as l’air d’aller bien. Je veux dire, ça t’angoisse pas trop ce rendez-vous ?

     

    Nouphilo sourit en fixant le sol :

     

    -Un peu, mais ça va.

     

    Tu devrais lui dire. S’il s’en rend compte une fois parti, il va paniquer parce qu’il pourra pas aller la chercher. Mais s’il a fait exprès de ne pas la mettre, il va croire que je veux qu'il la mette. Est-ce que je suis sérieusement en train de me prendre la tête pour une casquette ?

     

    Gêné, il se décida à dire :

     

    -Tu n’as pas mis ta casquette aujourd’hui ?

     

    Nouphilo, gêné à son tour, passa une main dans ses cheveux.

     

    -Je l’ai oublié. Je m’en suis rendu compte tout à l’heure, mais j’ai eu la flemme d’aller la chercher.

     

    -Tant mieux, t’es mieux comme ça.

     

    Oups, trop direct. Pourtant, Nouphilo lui sourit, radieux et Erlhas en eut le souffle coupé.

     

    -On y va ?

     

    Il eut un hochement de tête pour toute réponse et ils prirent la route vers la ville à pied.

     

    Erlhas n’avait rien prévu de particulier. Au début, il avait songé à un restaurant, puis un cinéma, mais Sebizan avait ri de son manque d’originalité et, lui-même, en ayant conscience, il avait choisi de renoncer. Finalement, il avait décidé qu'ils se promèneraient en voyant si l'inspiration finirait par venir.

     

    Il se rendit compte qu'il était perdu dans ses pensées depuis un moment et qu'ils marchaient en silence. Trouve quelque chose à dire, il doit s'ennuyer. Erlhas l'observa du coin de l’œil. Nouphilo avançait en fixant le sol, perdu dans ses pensées lui aussi. Le responsable préféra le laisser tranquille et se mit à réfléchir à une idée pour occuper leur journée. On va pas marcher tout le temps, il faut que je trouve vite. Ils arrivaient en ville et il n'était pas plus avancé. Soudain, une odeur le poussa à se redresser. Le garçon inspira profondément :

     

    -Tu sens ça ?

     

    Il s’aperçut avec amusement que Nouphilo aussi avait relevé la tête :

     

    -Oui.

     

    Une odeur sucrée flottait dans l’air. Erlhas fouilla dans sa mémoire pour retrouver la sucrerie qui correspondait. Enfin, un sourire se dessina sur son visage :

     

    -Barbe à papa.

     

    Nouphilo approuva en hochant la tête.

     

    -On va voir ?

     

    -Ok.

     

    Ils finirent par entendre les cris d’excitations et par voir les structures de métal des manèges. Nouphilo laissa échapper :

     

    -Wouah, une fête foraine.

     

    Erlhas vit à quel point il rayonnait :

     

    -On y va ?

     

    Il s’assombrit soudain :

     

    -Mais… ça coûte combien ?

     

    -Ça dépend des manèges. Tu n’y es jamais allé ?

     

    Il fit « non » de la tête.

     

    -Alors, viens, je paye.

     

    Il surprit la grimace de Nouphilo et s’empressa d’ajouter :

     

    -De toute façon, moi j’y vais.

     

    Il se mit en marche sans attendre, puis entendit Nouphilo sautiller pour le rattraper :

     

    -Attends, attend.

     

    Lorsqu’ils furent à nouveau côte à côte, Erlhas vit qu’il avait retrouvé le sourire. De son côté, il était content d’être tombé sur cette fête foraine. Cela lui évitait d’avoir à se triturer le cerveau pour trouver comment passer le temps. Ils passèrent devant les stands de tir sans s'y arrêter. Erlhas ne voyait pas ce qu'il y avait d'amusant à cela et si il s'inquiéta un instant que Nouphilo veuille s'y essayer, il fut détrompé. Le garçon regardait tout autour de lui avec émerveillement sans montrer la moindre envie de s'arrêter pour lancer des balles sur des conserves. Il est craquant. Il se détourna pour ne pas que Nouphilo remarque qu'il le dévisageait. Soudain, le garçon lui saisit le bras :

     

    -Erlhas, Erlhas ! On fait ça ?

     

    Il suivit la direction qu’il pointait et aperçut la maison hantée.

     

    -Oh ouais.

     

    Ils s’y rendirent à grands pas.

     

    -Tu crois que ça fait très peur ?

     

    -Y a peut-être des fantômes, des gars qui vont nous tomber dessus avec des haches.

     

    Nouphilo lui fit face les yeux brillants :

     

    -Tu crois ? Hou, ça va faire peur.

     

    Il rit tout seul avant de se diriger vers le guichet. Erlhas avait le cœur qui battait la chamade, mais ce n’était certainement pas à cause du manège. Il paya les places et les deux garçons s'installèrent dans un petit wagon grinçant. Le responsable ne fut nullement impressionné par les mannequins de plastique et les rires sinistres. De son côté, Nouphilo était hilare, lui montrant du doigt les chauves-souris qui tombé du plafond et les têtes décapitées. Derrière eux, une fille hurlait à s'en vriller les tympans, alors que son amie riait aux larmes de ses réactions. Chaque fois qu'elle poussait un nouveau cri, les garçons échangeaient un regard et riaient à gorge déployée. Nouphilo dit soudain :

     

    -Tu vois le squelette qui se penche, là ? Dans le cercueil ?

     

    -Ouais, qu’est-ce qu’il a ?

     

    -Je te parie une barbe à papa, qu’elle se brise les amygdales en passant devant.

     

    -Quand même, y a même pas d’effet de surprise. Il est éclairé.

     

    Mais cela ne manqua pas. Lorsque le tour fut terminé et qu’ils quittèrent leur wagon. Erlhas lança :

     

    -Bon, une barbe à papa, alors.

     

    Aussitôt, Nouphilo répliqua :

     

    -Non, non, t’es pas obligé, c’était pour rire.

     

    Erlhas haussa les épaules :

     

    -J’ai rien mangé ce matin, alors autant commencer par quelque chose de diététique.

     

    -Ok.

     

    Devant le stand de sandwich, Erlhas sentit sa faim s’éveiller :

     

    -Je vais me prendre un hot-dog aussi, tu veux autre chose ?

     

    -Non, c’est bon.

     

    S’il y avait bien quelque chose que Erlhas avait vite compris au sujet de Nouphilo, c’était qu’il avait horreur de dépenser l’argent des autres. Aussi, il l’observa avec attention et vit que le garçon fixait le panneau des tarifs des sandwichs.

     

    -On prend deux hot-dogs si tu veux.

     

    Nouphilo le dévisagea un instant avant de baisser les yeux.

     

    -Ok.

     

    Lorsqu’ils furent servis, que chacun eut son sandwich et sa barbe à papa, ils se tournèrent vers le stand suivant et stoppèrent net :

     

    -Mon Dieu, Nouphilo, ça y est, le paradis sur terre. On l’a trouvé.

     

    Le garçon rit, puis ils avancèrent vers le stand de bonbon.

     

    -Passons aux choses sérieuses. Tu veux lesquels ?

     

    Timidement, Nouphilo pointa les moins chers. J’aurais dû m’en douter.

     

    -Réduisons le choix. Qu’est-ce que tu n’aimes pas ?

     

    -Les bonbons à la menthe.

     

    -D’accord, je suis pas fan de réglisse. Voyons ce qu’il reste.

     

    Ils prirent un peu de tout, puis allèrent s’installer à un banc à proximité. Erlhas mordit dans son sandwich avec appétit, puis fit une grimace de dégoût :

     

    -Ah, la vache ! Ils ont une promo sur la moutarde ou quoi ?

     

    À côté de lui, Nouphilo éclata de rire :

     

    -Ça pique tellement, ça me fait pleurer !

     

    -Tu m’étonnes.

     

    Utilisant la serviette qu’on leur avait fourni avec le sandwich, il retira le surplus de moutarde et alla la jeter dans une poubelle à proximité. Nouphilo l’imita et retourna s’asseoir. Alors qu'il s'installait, Erlhas remarqua dans son sac ouvert, un livre qui dépassait :

     

    -C’est un nouveau livre ?

     

    Le responsable hocha la tête.

     

    -Je peux voir ?

     

    Déjà, il se penchait par-dessus Nouphilo pour atteindre l’ouvrage. Réalisant soudain la position dans laquelle ils étaient, sentant le souffle de Nouphilo sur sa joue, son cœur s’emballa à nouveau. Si je tourne la tête, je pourrais l’embrasser. Il se redressa rapidement avant de faire une bêtise et se concentra sur la couverture. Un chevalier blond était représenté, portant un enfant dans les bras.

     

    -C’est du fantastique ?

     

    -Oui, ça faisait longtemps que j’en avais pas lu, du coup je me suis dit que j’allais tenter ça.

     

    -Il a pas l’air aimable celui-là.

     

    Nouphilo haussa les épaules :

     

    -Je l’aime pas ce personnage donc bon, il peut bien avoir la tête qu’il veut.

     

    Erlhas rit, ouvrit le livre au hasard, lu quelques lignes, ne trouva rien de passionnant, choisi de le refermer et se rendit compte, à cet instant, que Nouphilo le dévisageait.

     

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

     

    -T’es vraiment le frère de Sebizan ?

     

    -Oui, je sais qu’on se ressemble pas vraiment.

     

    -Mais, vous avez le même âge, non ?

     

    -Oui, la mère de Sebizan était la maîtresse de mon père.

     

    Nouphilo fronça les sourcils.

     

    -Tu veux que je te raconte ?

     

    Il détourna le regard avec gêne :

     

    -Non, t’es pas obligé.

     

    Erlhas sourit :

     

    -Alors, il était une fois…

     

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