• Chapitre 9

    Fripon était accroupi devant Jolie-main qui allongée, adossée au mur, réfléchissait les bras croisés. Quand le garçon était arrivé en trombe dans sa chambre, la jeune fille était endormie. Il s’était empressé de lui raconter ce qui lui était arrivé et elle avait gardé le silence depuis. Fripon commençait à se demander si elle était vraiment réveillée quand elle demanda :

    -Je suppose qu’en pleine fuite, tu n’as pas fait attention à la route que tu as suivi en partant.

    Fripon hocha la tête et ajouta :

    -J’ai oublié de regarder.

    Jolie-main ne s’attarda pas dessus et finit par se redresser :

    -Ce qui me laisse perplexe, c’est ce qu’il t’a dit, qu’il n’était pas dans le vieux bâtiment.

    Fripon n’était plus très sûr de ce qu’il avait entendu, néanmoins il hocha la tête.

    -Pourtant, tu l’as vu dans le vieux bâtiment.

    Cette fois, le garçon hocha vigoureusement à tête :

    -Oui, je l’ai vu. Ça c’est sûr.

    Jolie-main plissa les yeux avant de dire :

    -Et s’il ne t’avait pas menti.

    -Comment ça ?

    -S’il n’avait pas été là, dans le vieux bâtiment.

    -Mais je l’ai vu.

    -Tu en as vu un, mais s’ils étaient deux.

    Fripon ouvrit des yeux ronds et réfléchit. Jolie-main insista :

    -Sincèrement, Fripon si tu voyais côte à côte deux hommes emmitouflés comme tu le décris, pourrais-tu vraiment les différencier.

    Fripon fut forcé d’admettre qu’il y avait peu de chance que ce soit le cas, alors il demanda :

    -Alors, il disait la vérité, tu crois ?

    -Je pense.

    -J’aurais dû rester là-bas ?

    Elle lui saisit le menton et sourit :

    -Ce qui est fait est fait. Maintenant, tu vas rester là, d’accord ?

    Il hocha la tête. Toute la journée, il resta tranquillement dans un coin, emmitouflé dans des couvertures qui sentait la moisissure. A présent, il regrettait d’avoir paniqué et de s’être enfui. L’homme aurait pu l’aider, il aurait pu avoir d’autres informations. Mais comme l’avait dit Jolie-main, ce qui était fait ne pouvait être changé. Il s’endormit rapidement et pour des heures.

    Des cris le réveillèrent en sursaut et il mit un certain temps à comprendre ce qu’il se passé. Les filles hurlaient, mais celle qui criait le plus fort était Jolie-main alors qu’un homme la saisissait à bras le corps pour l’emporter à l’extérieur. La jeune fille l’invectivait de toutes les manières possibles. Les autres filles s’attaquaient à un homme qui tentait de protéger la fuite de son coéquipier. Lorsque l’une des prostituées se jeta sur lui, toute griffe dehors, un coup de feu retentit et elle s’écroula inerte. Une autre bondit, s’agrippant à son cou et mordant, alors qu’une troisième se jetait sur lui à son tour.

    Dans la confusion qui régnait dans la petite pièce, Fripon pu s’éclipser sans que l’homme ne le remarque. Une fois dehors, il entendit l’écho des pas de l’homme qui emporté son amie et s’élança à sa poursuite. Il finit par l’apercevoir à plusieurs mètres devant lui, la jeune fille inerte sur son épaule. Il avait dû l’assommer pour se faciliter la tâche. Fripon le suivit de loin en essayant de minimiser l’écho de ses propres pas. Il se demandait tout en marchant, ce qu’il pourrait bien faire pour la délivrer. Il était trop petit et frêle pour se mesurer à l’homme et une fois dans leur repère, il n’aurait vraiment plus aucune chance.

    La nuit était tombée et il n’y avait presque personne dans la rue, donc aucun moyen de se dissimuler dans une foule. Il prenait soin de se dissimuler derrière chaque poubelle, chaque réverbère, mais sans savoir davantage comment il viendrait en aide à son amie. Soudain, il réalisa qu’il prenait la route de la maison d’avenir. Une méfiance se fit une place dans l’esprit de Fripon Quand il vit l’homme s’approchait de la grande bâtisse. Est-ce que le directeur lui aurait menti ? était-ce lui finalement, le deuxième homme à la canne ? mais l’homme dévia sa course juste devant et s’éloigna dans une rue adjacente. A nouveau, le garçon réalisa que ses soupçons étaient infondés.

    Fripon hésita. Toutes les lumières du bâtiment étaient éteintes, mais peut-être que s’il criait, des gens viendraient à son aide. Après tout, le directeur avait proposé son aide. Il s’approcha des grilles fermées et s’y agrippa. Il ouvrit la bouche et lança :

    -C’est Fripon, j’ai besoin d’aide !

    Rien ne bougea. Sans doute qu’il n’avait pas crié assez fort. Il jeta un regard dans la rue déserta avant de lancer les mêmes mots plus fort.

    -Eh bien, il semblerait qu’on n’aura pas besoin d’elle finalement.

    Fripon se retourna pour apercevoir l’homme qui était resté dans la chambre. Il avait le visage griffé, une oreille arrachée qui laissé une longue traînée sanguinolente jusqu’à son épaule. Il sourit au garçon qui enroula ses bras aux barreaux de la grille. L’homme lui saisit l’épaules, alors Fripon tourna aussitôt la tête pour mordre la main de toute ses forces. L’homme cria et lui envoya un coup violent au crâne qui l’arracha des grilles. Le garçon se retrouva par terre sans plus comprendre ce qui lui arrivait, déboussolé, il tenta de s’éloigner. Sans difficulté, l’homme le saisit à bras le corps pour l’emporter. Fripon commençait à se débattre quand l’homme se figea soudain avant de tomber en avant. Le garçon eut le temps de plaçait ses mains en avant pour amortir sa chute. Ecrasé sous le poids de l’homme inconscient, il tenta de s’en extirper alors que l’homme fut brusquement retourné, le libérant. Fripon aperçut alors le jeune homme qu’il avait rencontré dans la ville claire. Avec son chapeau, sa longue écharpe et sa canne, il ne doutait plus qu’il était aussi l’homme à la canne :

    -Qu’est-ce que vous faites là ?

    -Je m’appelle Phila. Je ne pense pas avoir pris le temps de me présenter hier.

    Fripon le dévisagea sans comprendre avant que l’effroi ne le saisisse. Il se releva d’un bond et se mit à courir dans la rue emprunter par l’homme qui avait emporter Jolie-main. Bien sûr, il ne vit rien et plus aucun son n’était audible à part celui de sa respiration. Il sentit les larmes lui monter aux yeux alors qu’il revenait sur ses pas. Il nota une autre rue sur sa gauche, peut-être était-il allé par-là ? il l’emprunta en essayant d’étouffer ses sanglots dans le creux de son bras. Il avait espéré que de l’aide viendrait s’il criait, mais il n’avait pas crié assez fort et cela avait pris trop de temps. Maintenant, il avait perdu sa trace. Il fit de son mieux pour maîtriser ses sanglots sans grand succès. Phila l’avait suivi et s’approchait à présent pour lui demander :

    -Qu’est-ce qu’il se passe exactement ?

    La voix entrecoupée de sanglot, il raconta l’enlèvement de Jolie-main. Le jeune homme fit de son mieux pour l’apaiser :

    -D’accord, j’ai compris. Calme-toi. On va trouver un endroit pour dormir et demain on ira à sa recherche.

    Fripon refusa :

    -Non, il faut chercher maintenant, ils vont lui couper les doigts.

    Phila insista :

    -Qu’est-ce que tu peux faire pour l’instant ?

    Le garçon regarda dans tous les coins sans pouvoir répondre à la question. Le jeune homme finit par lui dire :

    -Viens, j’ai une idée. On va dormir dans la calèche, comme ça demain matin, tu n’auras qu’à reprendre d’ici.

    Fripon se laissa emmener jusqu’au véhicule garer près de l’entrée de la maison d’avenir. Il vit le cochet de la dernière fois s’avancer vers eux.

    -Dosan, on va monter la garde à tour de rôle cette nuit.

    L’homme acquiesça en jetant un regard en biais à Fripon, mais ne posa pas de question. Le garçon grimpa dans le véhicule, alors que Phila retirait écharpe et cape pour les lui donner :

    -Voilà, tu auras chaud.

    Il ajouta avec un sourire :

    -C’est quand la dernière fois que tu as eu si chaud, hein ?

    Fripon se retint de dire qu’il y avait à peine quelques heures, il était confortablement installé dans un coin avec des couvertures. Bien sûr, cela n’entrait sans doute pas dans les critères acceptables de l’homme, mais tout de même. Le garçon se blottit sur le siège, emmitouflé de l’écharpe et la cape et dût reconnaître que ce n’était pas mal. Il s’endormit presque aussitôt mais se réveilla à plusieurs reprises, persuadé d’entendre Jolie-main.

    Chaque fois que le garçon se réveillait en sursaut, Phila jetait un regard vers lui avec inquiétude, mais il refermait les yeux presque immédiatement, remontant à cape sur sa tête.

    Le jour finit par poindre. Fripon se réveilla pour de bon, observa l’homme endormi en face de lui et réfléchit. Pourquoi avait-on enlevé Jolie-main ? elle n’avait rien fait pour l’homme à la canne. Par contre, il était resté avec elle assez longtemps. Il ne serait pas étonnant qu’on les ait vu ensemble. Alors on l’aurait emmené pour le trouver lui ? les paroles de l’homme qui avait essayé de l’emmener la veille lui revinrent, montrant que cela semblait allé dans ce sens. Donc, s’ils l’avaient emporté pour l’attirer où pouvaient-ils la détenir ? une idée lui vint. Se redressant lentement, il garda les yeux fixés sur Phila, guettant un quelconque signe d’éveil. Il réussit à quitter la calèche sans qu’il n’ouvre les yeux. Une fois dehors, il aperçut le cochet, assis sur son siège, tournant la tête régulièrement. Fripon profita qu’il regardait du côté opposé pour s’éclipser. Il contourna la maison d’avenir et alla tout droit pour déboucher sur le port et prit la direction du bâtiment abandonné. Il s’accroupit à l’abri d’une palissade en bordure du terrain pour observer la maison. Il n’y avait aucun signe de vie.

    -Tu crois qu’ils sont là ?

    Fripon sursauta en entendant Phila tout près. Le jeune homme s’était accroupi à côté et jetait également des regards insistants vers le bâtiment. Fripon hésita un peu mais finit par dire d’une petite voix :

    -Je vois pas pourquoi ils auraient besoin de Jolie-main, alors j’ai pensé que c’était pour m’attirer et comme il n’y a pas d’autre endroit où j’ai pu les croiser.

    -C’est le bâtiment dont tu parlais ? ils t’ont vu quand tu y étais ?

    Fripon garda le silence avant de dire :

    -Je ne suis pas sûr.

    Phila se redressa :

    -ça à l’air vide en tout cas.

    Le garçon l’ignora, préférant allé voir lui-même. Il allait franchir la palissade quand l’homme le retint :

    -Je pense que l’on devrait d’abord avoir quelque renfort. Au cas où tu ne te serais pas trompé.

    Le garçon se rassit en le regardant d’un air interrogateur.

    -Tu vas rester là, je reviens.

    Phila s’éclipsa vivement, laissant Fripon perdu dans la contemplation du bâtiment pour y guetter le moindre signe de vie.

     

    Phila revint bien plus tard alors que Fripon finissait par se demandait s’il n’allait pas y aller tout seul.

    -Bon, c’est bon. Vas-y, je te suis.

    Le garçon ouvrit des yeux ronds :

    -J’y vais ?

    L’homme hocha la tête :

    -Oui, comme cela ils ne se méfieront pas et je te suis pour venir en renfort au cas où.

    Le garçon fronça les sourcils en se disant qu’il avait prévu d’y aller seul de toute façon. Il passa donc la palissade et courut jusqu’au bâtiment. Il se baissa une fois à proximité en espérant que personne n’est regardé par la fenêtre lors de sa course. A présent qu’il était tout contre les murs, il n’entendait toujours rien. Le garçon se glissa par la porte et se retrouva devant l’escalier en ruine. Une angoisse le saisit en repensant à la dernière fois qu’il était venu. Pourtant, il se ressaisit rapidement, si Jolie-main était là, il n’y avait plus de temps à perdre. Il monta les marches comme il l’avait fait la première fois. A l’étage, toujours aucun signe de vie. Il fixa la porte qui avait caché l’homme à la canne, mais rien. Alors, il se dirigea vers le second étage. Il aperçut l’ouverture de la pièce où Beulk avait été torturé et s’arrêta à nouveau, retint sa respiration et écouta à nouveau. Sans les grincements du plancher, le silence se fit lourd, mais rien qui montra la présence d’un être vivant. Il marcha doucement jusqu’à l’ouverture, le cœur serrait d’un mauvais pressentiment. Il aperçut Jolie-main, inconsciente, ligotée sur la chaise de Beulk.

    -Jolie-main ?

    Il avait parlé d’une voix étranglée. Méfiant, il jeta un œil vers les escaliers avant de s’élancer dans la pièce. Il avait à peine fait deux pas que des bras puissants le saisir. Il poussa un cri de surprise tandis qu’une voix s’élevée derrière lui :

    -Le chef avait raison. Ça a marché.

    Fripon aperçut l’homme qui avait emporté Jolie-main. L’homme qui le tenait lui demanda :

    -Où est Shermer ?

    Le garçon dût lever la tête pour distinguer l’homme qui le maintenait contre lui. S’il l’avait déjà vu, il ne s’en souvenait plus. Toujours est-il qu’il se contenta de bafouiller :

    -Shermer ?

    Le premier lança :

    -Celui qui était avec moi hier soir. Il est où ?

    Fripon se souvint soudain qu’ils l’avaient laissé inerte sur le trottoir avant que Phila ne l’invite à dormir dans la calèche. Il fouilla rapidement sa mémoire, mais ne se rappelait pas qu’il y fut encore au matin. Il répondit donc :

    -Comment je le saurais ?

    L’homme eut un sourire mauvais :

    -Tu crois vraiment que je ne t’ai pas remarqué hier ? ses rues pleines d’écho, c’est agaçant hein ?

    Fripon déglutit avec difficulté alors que les larmes lui montaient aux yeux.

    -Peut-être que les filles l’ont tué.

    -Parce que tu étais là-bas ? on aurait pu s’épargner de la trimballer si je comprends bien.

    Fripon jeta un regard vers Jolie-main toujours inconsciente en tentant de savoir s’il avait dit une bêtise, quand l’homme reprit :

    -Notre ami ici présent…

    Il leva la tête vers l’homme qui immobilisé Fripon :

    -Est allé faire un petit tour pour le retrouver, mais à part deux filles mortes, il n’y avait rien d’autre. Alors, je répète, où est notre ami.

    Fripon n’allait pas tarder à fondre en larme quand des coups de feu se firent entendre à l’étage du dessous. L’homme se dressa brusquement :

    -Merde, le chef. Tu restes là toi.

    Son acolyte acquiesça alors qu’il sortait, arme au point. Fripon espéra que cela faisait partit du plan de Phila. Quelques minutes plus tard, des pas se firent entendre par le grincement du sol qui se dirigeait vers eux. L’homme qui tenait toujours le garçon, libéra une main pour saisit son arme. La carrure de Fripon permettait à l’homme de le maintenir avec un seul bras.

    -Qu’est-ce que tu fiches encore ici ?

    L’homme baissa son arme, pendant que Fripon dévisageait l’homme à la canne avec inquiétude.

    -On m’a dit de garder les prisonniers, chef.

    -Va plutôt aidez cet abruti à capturer l’homme qui a tenté d’entré. Je me charge des prisonniers.

    -Oui, chef.

    L’homme s’éclipsa rapidement en laissant Fripon face à l’individu masqué. Quand il fut assuré qu’ils étaient seuls dans le bâtiment, l’homme à la canne retira écharpe et chapeau :

    -Tu ne tiens pas vraiment en place, n’est-ce pas ?

    Fripon recula précipitamment vers Jolie-main en découvrant le directeur de la maison d’avenir.

     

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