• Chapitre 5

    Charon n’y voyait pas plus clair. Il avait fini de trier les documents récents et les plus anciens, ceux qu’il ne pouvait lire. Il avait donc commencé à déchiffrer ceux qu’il pouvait, tentant de trouver une chronologie. Pour l’instant, rien. Les dieux ne parlaient que de l’arrangement du temple et de ce qu’ils faisaient de la journée. Cela n’avait rien d’intéressant, en fait, et il semblait que cela faisait quelque génération qu’ils ne pratiquaient plus leur pouvoir. Il avait trouvé quelques notes de Ritonym, celui qui avait transmis ses pouvoirs à Lutinor, mais c’était, pour l’instant, la pire lecture qu’il est jamais faite. Il avait manqué s’endormir un certain nombre de fois avant de finir une page.

    Il rejeta la feuille qu’il s’efforçait de terminer sans sombrer dans le sommeil et se leva en s’étirant. Il s’aperçut que le jour s’assombrissait et se demanda ce qu’il était advenu de Lutinor. Cela faisait un certain temps qu’il n’entendait plus rien. Inquiet de ce qu’il pouvait être en train de fabriquer, Charon sortit de la maison pour se rendre dans le temple, mais s’arrêta net une fois un pied dehors. Le long du passage recouvert de mauvaises herbes et de mousse, des arbres aux fins troncs d’argent avaient poussé en arc, recouvrant d’une ombre douce, le chemin. Les feuilles en étaient multicolores et un mélange d’odeurs enivrantes emplissait l’air. Bouche-bée et hagard, Charon s’avança sous les frondaisons pour rejoindre le temple. A l’intérieur, les quelques murs encore debout étaient recouverts de lierre or et rouge.

    -Heu… Lutinor ?

    Comme il ne recevait aucune réponse, il sortit du temple pour chercher dans les alentours. Le spectacle se poursuivait avec des fleurs de toutes tailles et de toutes les couleurs. Charon eut du mal à se souvenir qu’il s’agissait d’un marécage boueux et nauséabond quelques heures auparavant. Il finit par retrouver Lutinor. Le petit dieu semblait admirer son travail, les poings sur les hanches.

    -Lutinor ? qu’est-ce que tu as fait ?

    Le petit dieu se tourna vers lui avec un grand sourire :

    -Tu as vu ? Un monde plein de couleur rien que pour toi… enfin pour nous et les rats aussi. Faut pas les oublier, ils sont susceptibles.

    -Quoi ?

    -Mais si, tu te souviens ? Tu m’as raconté que là où vivent les sans-âmes, il fait tout noir, puis tu es passé aux enfers et je me doute que ça ne devait pas scintiller de tous les côtés non plus. Alors je me suis dit que ça te ferait du bien d’être dans un endroit plus vivant.

    Il sourit de toutes ses dents :

    -Tu as compris ? Enfers, vivant ?

    Charon ne répliqua pas, les yeux écarquillés sur tout ce qui l’entourait.

    -Tu ne réalises pas ce que tu as fait, n’est-ce pas ?

    Lutinor perdit un peu patience :

    -Je t’ai fait une surprise et tu n’as pas l’air content. Pourtant, j’ai fait plein d’effort. J’ai plus de problème avec la formule tu sais.

    Charon arrêta de tourner sur lui-même pour fixer Lutinor :

    -Vous… merci, avant tout, mais… ce n’est pas… ce n’est pas le même niveau.

    Lutinor fronça les sourcils :

    -J’ai fait des bêtises, c’est ça ?

    Charon n’en croyait pas ses yeux, ni ses oreilles d’ailleurs :

    -Tu n’as pas ressenti de différence ? Entre une fleur, un arbre, même quand tu as changé la taille ?

    Lutinor se sentit gêné en répondant :

    -Non…c’est bon ou pas ?

    Charon se mit à rire :

    -Excellent oui. Demain, on pourra passer à l’étape au-dessus.

    Le visage de Lutinor s’illumina :

    -C’est vrai ?

    Le sans-âme hocha la tête avant de retourner se plonger dans les manuscrits. Le pouvoir du dieu était puissant. Il l’avait ressenti le soir de leur rencontre, mais à présent, il avait une vague idée de son réel pouvoir et cela promettait d’être beaucoup plus intéressant.

     

    Lutinor était à la fois attristé et fortement décontenancé.

    -Charon !

    Le jour se levait à peine, ce n’était pas étonnant que le sans-âme soit encore endormi. En fait, Lutinor serait encore au lit s’il n’avait pas eu une nouvelle idée pour ses plantes.

    -Charon !

    Il appela encore sans réponse, mais il s’en rendait à peine compte. Toute son attention était tournée vers les plantes qu’il avait fait pousser la veille. Elles étaient noires et pourrissantes à présent et il n’arrivait pas à comprendre pourquoi. Peut-être qu’il avait mal fait le sort finalement.

    -CHARON !!

    Un coup violent le frappa dans le dos. Le petit dieu vola sur plusieurs mètres avant de se retrouver la tête dans la boue. Il se redressa, recrachant l’eau qui avait envahi sa bouche et ouvrit les yeux pour apercevoir un Charon en robe de chambre, les yeux fermés, somnolent debout :

    -Qu’est-ce qu’il y a ?

    Lutinor oublia un instant ses plantes pour demander :

    -Tu as vu ? On m’a poussé jusque-là.

    Charon bâilla :

    -Tu n’as pas été poussé. J’ai lancé un sort d’attaque basique pour te faire taire.

    Lutinor bondit sur ses pieds :

    -C’est vrai ? Et j’ai volé jusqu’ici ? Tu pourras m’apprendre ?

    Charon soupira de lassitude :

    -Pourquoi tu criais ?

    Le petit dieu revint sur la berge :

    -Tu ne vois pas ? Elles sont en train de mourir.

    Charon daigna faire l’effort d’ouvrir les yeux pour voir le spectacle. Entre deux bâillements, il saisit le pétale d’une des fleurs entre ses doigt ce qui provoqua un froncement de sourcils :

    -C’est bizarre.

    Lutinor sourit :

    -Ce n’est pas moi qu’est fait de bêtise alors ?

    Charon ne répondit pas, concentré sur les plantes qu’il semblait trouver, soudain, fascinantes. Après un examen approfondis qui dura plusieurs minutes, le sans-âmes demanda :

    -Jusqu’où s’étend ton territoire exactement ?

    Lutinor papillonna des yeux d’un air innocent bien décidé à ne pas répondre plutôt que de dire de nouvelles bêtises. Comme il laissait durer le silence, Charon finit par le fixer :

    -Tu ignores les limites ou tu ignores ce qu’est un territoire ?

    Cette fois, le petit dieu put répondre avec fierté :

    -Je ne savais pas que j’avais un territoire limité.

    Charon hocha la tête, regarda autour de lui avant de dire d’un ton calme :

    -Je pense que ces marais devaient être à toi au départ, mais avec le manque d’activité et ta quasi absence aux alentours, d’autres divinités ont dut s’approprier tes territoires.

    Lutinor hocha vigoureusement la tête pour montrer qu’il avait bien compris, puis il demanda :

    -Mais, qu’est-ce qui te fais croire que c’était mon territoire à la base ?

    -Un dieu à nécessairement un vaste territoire. Normalement, il met des barrières de protection aux alentours pour assurer la protection de ceux qui viennent à son temple.

    Le petit dieu se plongea dans une profonde réflexion avant de demander :

    -Si ce sont des divinités qui ont fait ça, pourquoi ?

    -Parce que tu as empiété sur leur terre, je pense.

    -Mais… c’est des fleurs ! Ce n’est pas si dramatique.

    -C’est une intrusion.

    Lutinor regarda aux alentours. Les seuls endroits où les plantes avaient gardé leur splendeur étaient dans le temple même et au chemin menant vers la maison. Il en conclut donc :

    -C’est vraiment un tout petit territoire.

    Charon s’étira :

    -Oui, il va falloir en récupérer. Tu connais les divinités qui auraient pu prendre ces terres ?

    Nouveau silence auquel Charon donna la signification évidente :

    -Non, bien sûr. Tant pis, on va faire comme tout le reste. On y va au hasard.

    Il se dirigea vers la petite maison et après un instant de réflexion, Lutinor le suivit en demandant :

    -ça veut dire qu’on va frapper des gens ? ça n’a pas l’air très gentil.

     

    Après avoir pris le temps de se réveiller calmement, Charon retrouva Lutinor qui l’attendait sagement assis sur l’autel.

    -Bon, ne perdons pas de temps.

    Le petit dieu fit la moue :

    -Je te signale que c’est toi qu’on attend.

    Charon fit un geste du bras et Lutinor vola à travers la pièce. Il se redressa en grimaçant :

    -Je ne suis pas sûr que tu ais le droit de me taper, hein ?

    Le sans-âme ricana :

    -Et comment pourrais-tu le savoir ?

    Lutinor lui tira la langue quand il eut le dos tourné et Charon l’entendit grommeler :

    -Bin je suis presque sûr que tu n’as pas le droit quand même.

    Il décida de l’ignorer pour reprendre :

    -Tu vas lancer une incantation pour trouver la divinité qui à saccager ton jardin.

    Lutinor précisa :

    -Ce n’est pas que mon jardin, c’était ton cadeau aussi.

    Charon ne savait pas trop comment il était censé réagir à ce genre de chose. Les dieux ne faisaient pas de cadeaux aux sans-âmes, sans doute qu’il aurait dû le lui dire. Pourtant, il n’en avait pas envie, bien qu’il ignorait exactement pourquoi.

    -Pour cette incantation, contente-toi de penser à ce que tu veux trouver.

    Lutinor hocha la tête avant de demander :

    -C’est quoi la formule ?

    -Trouve-là.

    Il ouvrit des yeux ronds :

    -Comment ?

    Charon sourit :

    -Comment les dieux ont-ils créer les incantations à ton avis ? Personne n’était là pour leur souffler la formule.

    Lutinor dut reconnaitre que cela tenait la route et se mit à réfléchir. Charon le fixa avec attention. Il était impossible pour un dieu de trouver une formule. Seuls les premiers dieux avaient été capable de créer les incantations. Pourtant, Charon avait vu l’aura du petit dieu et il voulait connaître la limite de ce pouvoir latent. Aussi il tenta de percevoir la moindre fluctuation dans l’aura de Lutinor tendit qu’il réfléchissait. Subitement, celui-ci lança :

    -Trouver !

    Charon n’avait rien noté de différent et demanda donc avec une certaine réserve :

    -Oui ? Quelle est ta formule ?

    Lutinor laissa errer son regard dans la pièce avant d’avouer :

    -Bah, c’était ça…. La formule.

    Charon lâcha un petit rire. Ce ne pouvait pas être aussi facile.

    -Concentre-toi. Ne pense pas qu’à ce que tu veux trouver, mais aussi pourquoi tu veux le trouver.

    Lutinor eut l’air blasé :

    -Pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt ?

    -J’avais espéré que tu trouverais tout seul.

    -Ah, je vais réessayer.

    Charon hocha la tête alors que Lutinor fixait alternativement ses mains et le sol en murmurant des mots inintelligibles. Un certain temps s’écoula et le petit dieu avait fini par s’assoir par terre, bâillant de temps en temps mais cherchant toujours. Charon n’avait pas bougé. Le petit dieu ne semblait pas s’en rendre compte, mais son pouvoir se renforcer. Finalement, Lutinor soupira, murmura quelque chose avant de pousser un cri. Charon sursauta :

    -Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

    -Une flèche… sur ma main.

    Le sans-âme s’approcha. Sur le dos de la main du dieu une flèche argentée était apparu, oscillant légèrement.

    -Il semblerait que tu es réussi.

    Lutinor leva vers lui un visage radieux auquel il répondit par un sourire :

    -En route.

    Le petit dieu sauta sur ses pieds et se mit en marche, les yeux fixés sur l’indication de la flèche.

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