• Chapitre 2

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    Maintenant, il était là dans la grande salle du palais blanc et à nouveau, du silence. Non pas parce qu'il n'y avait personne, mais parce que tous s’étaient tus en le voyant entrer. Les murmures parcouraient néanmoins la salle :

    -Qui est-ce ?

    -Vous le connaissez ?

    -D'où il sort dans cette tenue ?

    C'est sûr qu'avec ses vêtements boueux et rapiécés, il ne pouvait qu'attirer l'attention. Un peu gêné, il croisa les bras en espérant en cacher un maximum. C'est ça, joue là calme et décontracté.

    -Hum... bonjour.

    Mis à part le fait que tu aurais dû dire « bonsoir », tu as certainement marqué des points pour l'originalité. Une déesse aux ailes de mouches finit par s'approcher :

    -Vous êtes ?

    -Heu... Lutinor.

    Voyant que cela ne réveillé aucun souvenir chez aucun d'eux, il s'empressa d'ajouter :

    -Du temple du marais des Erres.

    Un dieu à tête de singe ricana :

    -Désert c'est le cas de le dire. Il n'y a tellement personne que même eux oublient leur dieu.

    Lutinor n'était pas sûr d'avoir tout compris à cette réplique, ni pourquoi certain c'était mis à rire. Il avait pris le parti de les ignorer quand un autre lança :

    -Mais où sont vos gardiens ?

    -Je... je n'en ai pas, avoua-t-il en baissant les yeux.

    Un court silence, suivit par un éclat de rire général. Lutinor commençait à sérieusement regretter sa décision. Heureusement, l'absence de gardien sembla provoquer un désintérêt total pour sa personne. Il en profita pour suivre l'odeur de nourriture, espérant que des plats délicieux l'attendrait au bout. Manger est la solution à tous les maux, dixit moi-même. Il ne fut pas déçu du banquet et s'apprêtait à mordre dans un gros morceau de tarte lorsqu'une petite divinité inférieur s'approcha, voletant sur un nuage gris.

    -Seigneur des marais des Erres, pourquoi n'êtes-vous jamais venu aux réceptions ?

    Etant un dieu, Lutinor était probablement plus puissant que la moitié des convives composés de divinités inférieurs et d'esprits. Cependant, c'était la première fois qu'on l'appelait seigneur et pour dire vrai, il n'avait jamais eu l'impression d'être le seigneur de quoique ce soit dans son marais, mais il se garda bien de le dire à son interlocutrice qui, chose étonnante, le regardait avec une grande déférence.

    -J'étais... occupé.

    -Oh oui, je suis bête. Pardonnez-moi, vous devez être très demandé. Les dieux le sont toujours.

    Elle sembla hésiter avant de poursuivre dans un murmure :

    -Pardonnez-moi mon impertinence seigneur, mais qu'est-ce que cela fait ? D'être un Dieu ?

    Il ne savait trop que répondre quand deux gardiens s'empressèrent d'intervenir :

    -Maîtresse, voyons. Vous savez bien que ce genre de comportement ne vous attire que des ennuis.

    Ils étaient minuscules, posaient sur les épaules de la divinité. Lutinor ne les avaient même pas remarqués. A présent, l'un d'eux s'avança, s'élevant dans les aires l'air inquiet :

    -Pardonnez-lui seigneur. Elle ne peut pas s'en empêcher. Je vous en prie, nous aimerions ne pas nous battre ce soir.

    Lutinor devait être également plus puissant que n'importe quels gardiens dans cette salle, même si en général les dieux ne se battaient pas et envoyé leur gardien à la place. En l'occurrence, il n'avait pas de gardien d’un et de deux, il n'avait jamais utilisé ses pouvoirs, alors pour mener un combat...

    -Cela ne me dérange pas.

    Le petit gardien jeta un regard à son collègue et à sa maîtresse :

    -Vraiment ?

    -Vraiment, il s'adressa ensuite à la divinité, mais je n'aurais rien de bien intéressant à vous apprendre. En fait, je ne suis pas un dieu très demandé.

    Pour ne pas dire pas du tout. Malgré tout, la petite divinité avait les yeux brillants.

    -Vous accepteriez de me parler ?

    -Oui, mais je ne sais pas trop de quoi.

    -Je poserais des questions, vous n'aurez qu'à répondre.

    Les deux gardiens s'écrièrent en panique :

    -Maîtresse ! Ne donnez pas d'ordre à un dieu !

    Lutinor n'avait pas eu l'impression de recevoir un ordre et s'empressa de calmer les gardiens d'un geste de la main :

    -Moi, ça me va de faire comme ça.

    Alors ils restèrent un bout de temps à discuter près de la table. Lutinor prit le parti de ne pas mentir à son interlocutrice qui s'avéré logé dans un petit temple des bois. Découvrir qu'il n'était le dieu que d'un terrain d'eaux vaseuses, sans croyants et un temple branlant ne la découragèrent pas. D'autres questions survinrent sur ce qui avait mené son temple à cette situation. Au fur et à mesure, il se sentit plus à l'aise et il finit par oser demander :

    -Dis-moi, Isisia, comment fait-on pour avoir un gardien ?

    Elle sourit doucement :

    -Ton prédécesseur ne t'as pas appris ?

    Il avoua avec gêne :

    -Je ne suis même pas sûr qu'il ait su comment faire.

    Sans insister sur la question, elle enchaîna :

    -C'est très simple en soi, regarde.

    Un de ses gardiens vint se percher sur sa main et leva le menton. Autour du cou un fin collier bleu étincelé.

    -Le collier est la marque d'appartenance.

    -On le leur offre ?

    -En quelque sorte. Seul les êtres sans âmes peuvent devenir des gardiens. Si tu en vois un qui t'intéresse alors emprisonne le et invoque le pacte de garde.

    -Je n’ai rien compris.

    Elle le fixa en silence avant de lui pincer la joue :

    -C'est comme de parler à un enfant qui découvre le monde, adorable.

    -Moi ?

    Il rit à cette idée et elle revint à la discussion :

    -Reprenons. Ce sont des sorts spécifiques à chaque divinité. Si tu veux mieux savoir comment t'y prendre, tu as certainement un livre dans ton temple où les pouvoirs sont consignés.

    La vision du bazar régnant dans la chambre de son ancien maître suffit à le décourager. Pourtant, si un tel livre existait, il l'avait surement mis là-dedans sans se poser de question.

    -Sinon, où trouve-t-on des sans âmes ?

    -Ceux qui n'ont jamais été lié sont sauvages et dangereux. Je te déconseille de t'y frotter. En revanche, les autres, ceux qui ont perdus leur maître ou ont été rejeté, sont ici.

    Il la fixa le temps de bien comprendre :

    -Ici, ici ?

    -Oui, ils ont reçu une part de divinité en étant lié, on ne peut décemment pas les rejeter aux milieux des autres sauvages.

    Lutinor ne prêta pas attention aux restes de ses paroles. Une idée venait de germer dans son esprit. Si je veux, ce soir, je pars avec mon propre gardien. Je serais presque un vrai dieu. Son cœur en avait des palpitations. Bien sûr, le fait qu'il ne connaissait ni le sort d'emprisonnement, ni le sort du pacte, n'entraient pas du tout en compte.

    -Tu ne peux pas capturer n'importe lequel. Il faut que tu fasses en fonction de tes besoins et de ta force. Moi, par exemple, mes gardiens m'aident à l'entretien de mon temple. Ils sont aussi très doués pour les sorts de protection. Non pas que l'on se batte beaucoup, s'empressa-t-elle d'ajouter, mais on ne sait jamais. Sais-tu à quoi te servirais ton gardien ?

    Il n'y avait jamais réfléchi. Il prit donc le temps de la réflexion pour finir par répondre :

    -Il faudrait m'aider à restaurer le temple et faire le ménage. Oh, tu crois qu'il y en a qui savent cuisiner ?

    -Je n'en crois pas mes oreilles.

    -Une honte pour chacun de nous.

    Deux dieux s'étaient approchés sans qu'ils ne s'en rendent compte. Le premier continua :

    -Discuter si librement avec un inférieur passe encore...

    -Mais qu'un dieu utilise son gardien juste pour le ménage.

    Isisia avait baissé les yeux et Lutinor crut bien y voir quelques larmes. Un des gardiens vint se mettre à hauteur du dieu :

    -Vous ne pouvez pas lui parler ainsi...

    Le dieu l'écarta d'un geste de la main qui le fit virevolter en arrière. Lutinor le rattrapa avant qu'il n'aille s'écraser sur la table :

    -Non mais ça ne va pas, vous êtes malade !

    Non, je n'ai pas crié, personne n'a entendu. Pourtant les trois quarts d'une salle ne vous fixe pas sans raison. Pour ceux qui discutaient encore, on ne tarda pas à attirer leur attention sur la scène.

    -Sans gardien pour te défendre, tu dois avoir une grande confiance en ta puissance.

    Oui, ou une grande stupidité. Il évita bien entendu de formuler cette phrase à haute voix.

    -Une réception n'en serait pas une sans démonstration de force, dit l'un des deux, nos gardiens contre toi. Tu devrais l'emporté facilement.

    -Je... vais m'en trouver un. De gardien.

    -Comment ? Tu n'es pas à la hauteur tout seul ?

    Sans se démonter, Lutinor répliqua :

    -J'en ai le droit non ? De ne pas vouloir me salir les mains.

    -Bien sûr et je suis sûr que vous trouverez ici, un ancien gardien impatient de faire un pacte avec vous.

    On se retourna pour consulté les voisins, on observa les invités, s’il y avait d'anciens gardiens ils n'étaient pas pressés de se faire connaître. Une petite voix vint se glisser à son oreille :

    -Il est rare qu'un sans âme libéré veuille retrouver un maître. Si tu dois faire un pacte maintenant, c'est toi qui devra aller le chercher.

    Lutinor reconnut la voix d'un des gardiens de Isisia, pourtant il ne vit rien sur son épaule. Sans doute s'était-il rendu invisible. Un gardien n'obéissait qu'aux ordres de son maître et si Isisia voulait l'aidé sans attirer l'attention, c'était le meilleur moyen. Lutinor prit donc un air décontracté, l'air de celui qui risqué de se faire massacrer mais à qui cela ne faisait ni chaud ni froid et se mit à se balader nonchalamment parmi les convives sans avoir la plus petite idée de ce à quoi pouvait ressembler un ancien gardien. Comme s’il lisait dans ses pensées, le petit gardien le renseigna :

    -Une fois lié, les sans âmes prennent forme humaine. Ils restent humains même une fois libéré.

    Il élimina rapidement tous ceux qui comportait une ou plusieurs partis animaux.

    -Il en reste quand même pas mal.

    -Ils portent une cicatrice sur le cou pour chaque collier porté, un trait vertical.

    -Je ne vais pas demander à tout le monde de montrer leur cou.

    -Plus ils ont servi un maître plus la cicatrice est grande, ceux-là vous devriez les remarquer facilement.

    Lutinor continua donc à flâner l'air de rien. Quelques ricanements lui parvinrent, mais il les ignora venant de repérer un garçon d'une dizaine d'année portant trois petites cicatrices. Bon, il pouvait avoir un physique de dix ans et être né au début du monde. Ce qui le rendait plus puissant que lui. Mais je peux tenter ma chance. Il allait se résoudre à le désigner quand un autre garçon arriva, tout semblable au premier. Il venait d'apporter un fruit à son frère et Lutinor changea d'avis. Un contre un, il voulait bien tenter, contre deux il avait un doute. Il passa son chemin. Une fille portant une grande et une cicatrice plus infime lui fit comprendre qu'il ne valait mieux pas qu'il s'approche. Il continua alors commençant à sérieusement s'inquiéter.

    -Vous êtes un dieu, lui rappela le petit gardien, c'est à vous de choisir, pas à eux.

    -Tu as raison.

    Le prochain, je l'emprisonne. Comment ? Je n'en ai pas la moindre idée. Il en vit un qui observait le contenu de son assiette avec circonspection. Il portait une cicatrice sur la gorge de la base de son cou à son menton. Il prit un légume étrange entre deux doigts et fit la grimace. Il était à peine plus grand que Lutinor, pas plus costaud et physiquement à peu près du même âge. Comme dit plus tôt, cela n'était pas vraiment révélateur de sa véritable force, mais Lutinor avait besoin de peu de chose pour se rassurer. D'accord, tu as dit le prochain, c'est le prochain.

    -Toi, dit-il de la voix la plus autoritaire qu'il put en le montrant du doigt.

    Le gardien de Isisia s'affola soudain :

    -Non, pas lui !

    Lutinor murmura à son intention :

    -Pourquoi ? J'ai fait ce que tu as dit.

    Le sans âmes désignait posa son regard sur lui et un frisson d'effroi parcouru Lutinor qui lui fit regretter sa décision. Tout autour, une part de l'assemblée semblait effrayé, l'autre semblait attendre la suite du spectacle.

    -Qu'est ce...

    -C'est Charon.

    -Charon, comme le Charon à la barque ? Le Charon du Styx ?

    Son maître lui en avait parlé. Charon avait été le gardien du Dieu Hadès durant des temps immémoriaux. Jusqu'au jour où le dieu des enfers avait soudain fermé boutique, criant à sa fratrie qu'ils pouvaient bien aller tous se faire voir et été parti. Charon avait alors fait une chose des plus impensable. Il défia le successeur de son maître à qui il aurait dut appartenir désormais. Contre toute attente, le dieu fut vaincu et Charon s'estima donc libre. Il était parti à son tour, abandonnant sa barque et sa cape pour parcourir le monde. Aucun dieu n'avait plus été en mesure de l'emprisonner et voilà que Lutinor le pointait du doigt. Tu as un don pour te mettre dans de ces situations. Dans ton marais t'avais aucun problème, les rats étaient de bonne compagnie, alors qu'est-ce que tu fiches ici ? Le plus naturellement du monde il baissa le bras et chercha à voir s’il n'y avait pas un autre ancien gardien juste à côté. Auquel cas, il aurait pu faire croire que c'était l'autre qu'il visait. Mais il ne vit que deux esprits des eaux, une nymphe, et deux déesses. Perdu. Je n'ai plus le choix, je ne peux qu'en même pas m'éloigner comme si de rien était. Bonjour la crédibilité. Et en même temps, il ne savait pas comment l'emprisonner. Le petit gardien sur son épaule murmura :

    -Faites demi-tour et demander pardon, je crois que c'est ce que vous avez de mieux à faire.

    -Non, je ne peux pas.

    Charon ne l'avait pas quitté des yeux et quand Lutinor s'approcha, il posa son assiette sur la petite table derrière lui et se redressa, visiblement prêt à se défendre. Lutinor prit donc soin de laisser une certaine distance, pour éviter les complications.

    -Bonsoir, commença Lutinor, assez content de ne pas s'être trompé cette fois. Je pense que vous avez entendu ce qu'il s'est passé.

    Charon était méfiant et le dévisagea avec attention sans répondre.

    -La vérité c'est que je ne suis pas à la hauteur tout seul. Alors j'apprécierais un coup de main.

    Il avait du mal à soutenir le regard du passeur mais s'efforça néanmoins de rester courtois. Son maître lui avait appris qu'à défaut de force, un peu de courtoisie pouvait adoucir les cœurs. Mais les sans âmes avaient-ils un cœur ? Là, était toute la question. Comme Charon ne bougeait toujours pas, Lutinor ajouta d'une petite voix, perdant de son assurance devant le mutisme de son interlocuteur :

    -S'il vous plaît ?

    Charon parut se détendre et alla même jusqu'à hausser les épaules en disant :

    -D'accord.

    -Vraiment ?

    Il passa près de lui sans répondre et se rendit auprès des deux dieux.

    « M. de Montaigne, ?, Nietzsche, B.Malamud, S.Adams5 - Hiloy - "Mais t'es la fille d'hier !" »

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