• XXVIII - Citseko

    Citseko Fraam

    Rang : Argent

    Héritier de la famille Fraam au service du clan Evarla

     

    ...héritiers d’or. Pourquoi, sérieusement ? Les deux garçons n’avaient pas arrêté de se lancer des piques depuis leur réveil. Citseko restait sagement en arrière. Supportant en silence, les luttes de pouvoir des deux adolescents. S’il ne connaissait pas Rtonedris, Cyrastès ne lui était pas inconnu. L’héritier d’argent n’avait eu aucun mal à reconnaître le garçon au masque de son activité de combat au couteau. L’héritier d’or prenait en souriant les grands airs de Rtonedris. De toute évidence, ils ne se connaissaient pas et Citseko avait même l’impression que Cyrastès ne le reconnaissait pas lui. Tant mieux.

    -Je ne pense pas que l’on devrait marcher de nuit…

    -Le terrain est dégagé, pourquoi on s’arrêterait ?

    -On peut se faire attaquer…

    -Il vaut mieux qu’on soit réveillé alors.

    Et cela continuait pendant de longues minutes. Chaque décision de Rtonedris menait immanquablement à une objection de Cyrastès. Le ton ne s’élevait jamais jusqu’à la dispute, mais il était fatiguant que pas une discussion ne puisse se dérouler simplement. Au moins, on avance. En tout cas, il lui semblait. Ils s’étaient réveillés dans un labyrinthe aux murs invisibles. Ils pouvaient discerner les obstacles grâce à une teinte noir qui s’élevait du sol. Citseko n’avait pas vraiment l’impression qu’il s’agisse d’un labyrinthe proprement dit. Certes, ils étaient obligés de contourner des murs par moment, mais ils ne tombaient jamais dans un cul de sac, ne se retrouvaient jamais obligé de faire demi-tour et réussissaient, de manière générale à suivre leur direction.

    -On va à droite.

    Citseko leva le nez de ses chaussures. Les deux héritiers d’or se tenaient au pied d’un mur qui leur bloquait le passage. Rtonedris n’avait pas hésité longtemps avant de prendre sa décision, mais Cyrastès partait déjà sur la gauche.

    -Qu’est-ce que tu fais ? J’ai dit à droite.

    -C’est ce que je fais.

    Cyrastès avait l’air innocent et surpris d’un enfant qu’on réprimande sans raison. Quel comédien, je te jure.

    -J’ai dit à droite.

    -Bah, c’est ce que je fais.

    Citseko jeta un regard à sa tablette, juste pour s’assurer qu’ils allaient toujours vers la sortie. Il devrait probablement les lâcher en cours de route pour retrouver Meb, mais il s’en inquiéterait à ce moment-là.

    -C’est de l’autre côté la droite, abruti.

    -Mais non, c’est par là. Je sais quand même distinguer ma droite de ma gauche.

    Citseko haussa un sourcil à l’affirmation de Cyrastès. Le garçon avait le don de se faire passer pour plus idiot qu’il n’était au point qu’à chaque fois, Rtonedris cédait. Celui-ci passait déjà du côté gauche en disant :

    -Bon, on ne va pas y passer des heures. Ça ne change rien de toute façon.

    Citseko entraperçut le sourire satisfait de Cyrastès quand l’adolescent choisit de prendre son chemin. C’était toujours comme cela. d’une manière ou d’une autre, Cyrastès finissait par obtenir ce qu’il voulait et il réussissait encore à faire croire à Rtonedris que c’était lui le chef du groupe. L’héritier d’argent n’était pas dupe et il était ravi que les deux adolescents l’ignorent les trois-quart du temps. Se retrouver au milieu de ces « discussions » ne lui ferait sûrement pas plaisir. Le seul moment où il trouvait une quelconque existence à leurs yeux, c’était le soir. Rtonedris prenait un malin plaisir à lui commander d’aller chercher du bois, de préparer le feu, de monter la garde… Citseko obéissait. Après tout, un héritier d’or est un héritier d’or. Il espérait bien qu'il ne dépasserait pas le stade du simple serviteur à leurs yeux. Qu’ils commencent à me parler et je vais me retrouver en pleine engueulade, constamment. Rien qu’à l’idée, il sentait une crispation lui saisir le corps. Non, reste invisible et tout ira bien.

    Ils marchèrent une bonne partie de la nuit, comme l’avait voulu Cyrastès.

    -On va devoir s'arrêter avant de dormir debout. Je ne pense pas que l'on se fasse attaquer cette nuit de toute façon.

    Pas plus que les autres nuits. Mais Citseko n'était pas du genre à repousser un trop plein de prudence. Cyrastès avait laissé tomber son sac sitôt que Rtonedris avait ouvert la bouche.

    -Va chercher du bois.

    Sans prendre la peine de laisser ses affaires, l'héritier d'argent fit quelque pas pour s'écarter d'eux. Le labyrinthe semblait s'étendre à l'infini et traverser toutes sortes d'endroits. Même dans la plaine vallonnée où ils se trouvaient, Citseko trouvait toutes sortes de déchets près des murs, notamment des branches dont il s'interrogeait sur la provenance. Parfois, il aurait préféré avoir plus de difficultés à trouver du bois, cela lui aurait fait une excuse pour rester seul plus longtemps.

    Il revint, creusa un peu pour trouver des pierres, arrangea un foyer et alluma le feu. Le silence régnait chaque fois qu'ils s'asseyaient. C'était bien le seul moment de la journée que Citseko appréciait. Il mangea une moitié de sandwich comme à son habitude, tandis que Rtonedris dévorait le sien. Cyrastès ne mangeait jamais le soir. Il s'allongeait directement, posait sa tête sur son sac et, pour autant que l'héritier d'argent pouvait en juger, s'endormait aussitôt. Il doit écouter, attendre qu'on parle. Ce n'est pas possible de dormir aussi vite. Si c'était le cas, il devait être déçu. En revanche, il était plutôt rassuré de le voir économiser sa nourriture comme il le faisait. Dans le premier Grand Jeu, il avait eu l'impression d'être un peu paranoïaque à être le seul à faire attention aux réserves de nourriture. Ils n'avaient pas aperçu le moindre refuge depuis des jours qu'ils marchaient et il se demandait si c'était possible qu'il y en ait un dans un labyrinthe. Citseko ne s'attardait jamais non plus. Sitôt son repas terminé, il se couchait en sachant que le lendemain, Cyrastès serait le premier levé et qu'il réveillerait Rtonedris. L'héritier d'argent serait réveillé par leur manque de discrétion.

    Ils avaient marché trois heures avant de s'arrêter devant un fossé. La pente était abrupte et les murs les obligeaient à descendre. Le creux était en V et l'autre côté ne semblait pas plus facile à grimper. C'était la première fois qu'ils rencontraient un obstacle quelconque. Jusque là, leur progression n'avait été qu'une succession de paysages ennuyeux. Cyrastès fronça les sourcils avant de poser son sac. Rtonedris lui demanda aussitôt :

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    -Je me demande si j'ai récupéré ma bouteille d'eau. Je me souviens de l'avoir sortie hier soir, mais après...

    Rtonedris était agacé :

    -T'as sérieusement besoin de faire ça maintenant ?

    Cyrastès continua de fouiller son sac :

    -Tu préfères que j'attende d'être de l'autre côté ? Histoire que le demi-tour soit plus long ?

    -T'es pas obligé de retourner la chercher. On s'en fout.

    Cyrastès leva le nez :

    -Combien de source d'eau ou de refuge a-t-on croisé exactement depuis le début ?

    L'autre héritier d'or se renfrogna tandis que Citseko approuvait silencieusement. Au bout de cinq minutes de fouille, dont l'héritier d'argent avait déjà deviné qu'il s'agissait d'une ruse pour ne pas passer en premier, Rtonedris annonça avec énervement :

    -Bon, j'en ai marre. J'y vais, vous me rejoindrez.

    Il s'approcha du bord avec prudence. Citseko observa chacun de ses mouvements avec attention, cherchant à imaginer sa propre descente.

    -Vas-y.

    L'héritier d'argent retint une grimace sous l'ordre de Cyrastès. Celui-ci continuait à faire semblant de fouiller son sac. Je peux pas lui dire non. L'idée de désobéir à un héritier d'or l'angoissait autant que de s'élancer dans le fossé. Il me faut une excuse. En le regardant, une idée lui vint.

    -J'attends de savoir si vous avez oublié votre bouteille. J'irai vous la chercher.

    Il avait reposé ses yeux sur Rtonedris, concentré sur sa progression. Une glissade le crispa. Si on se rate, on risque de tout dévaler jusqu'en bas...et pas en bon état. L'adolescent finit par réaliser le silence à son côté et baissa les yeux sur Cyrastès. L'héritier d'or l'observait avec un grand sourire qui inquiéta aussitôt Citseko. C'était bien la première fois que leurs regards se croisaient. Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce qu'il a ? L'héritier d'argent se demanda soudain s'il n'allait pas l'envoyer chercher une bouteille imaginaire, juste pour s'amuser. Au lieu de cela, Cyrastès se releva, ferma et remit son sac sur ses épaules, puis se tourna vers le fossé pour savoir si Rtonedris réussirait à passer. Citseko attendit, le cœur battant, de savoir si l'héritier d'or n'allait pas lui dire quelque chose, mais il semblait retourner au stade de l'ignorance.

    Une fois au fond, Rtonedris se retourna, surpris de les voir encore en haut, il lança :

    -Vous foutez quoi ?! Magnez-vous !

    Citseko s'avança, se doutant bien qu'il devrait passer avant Cyrastès.

    -Cela à l'air de passer.

    L'héritier d'argent hésita à répondre avant de se dire que l'adolescent devait se parler à lui-même. Silencieux, il se concentra sur ses pas. Le corps parallèle à la pente comme l'avait fait Rtonedris, une main posée au sol pour garder l'équilibre et le rattraper ou le retenir en cas de danger. Cyrastès le suivit de près. Au fur et à mesure qu'il descendait, le garçon prit confiance, suffisamment pour finir avec un saut. Citseko atterrit au fond du fossé. Ses jambes étaient douloureuses d'avoir dû forcer pour se maintenir stable et à la vue de la montée, l'adolescent inspira un grand coup pour se redonner des forces. Rtonedris est presque en haut. Ce doit être plus facile. Il se mit à grimper alors que Cyrastès arrivait au fond.

    Tout le processus avait duré près d'une heure. Arrivés de l'autre côté, ils étaient essoufflés et assoiffés. Quand Cyrastès sortit sa bouteille d'eau, Rtonedris ricana :

    -Tu l'avais finalement. T'aurais pas mis trois heures à fouiller ton sac pour te foutre de ma gueule ?

    Citseko retint son souffle. Si ça part en duel... il n'eut pas le temps de finir sa pensée car Cyrastès faisait un signe de tête de son côté :

    -Il est allé me la chercher.

    Rtonedris garda les yeux sur l'héritier d'or :

    -Ah ouais ? Il a couru jusqu'à notre campement ? Il a fait en une minute une distance de trois heures ?

    Cyrastès était toujours serein. Il rangea sa bouteille en répondant :

    -Elle était pas au campement. Apparemment, elle était tombée sur la route.

    -Comment ?

    Rtonedris avait clairement des soupçons. Il était quand même temps qu'il se pose des questions. A la question, Cyrastès se remit à jouer les idiots :

    -Pardon ?

    -Comment la bouteille a pu tomber de ton sac ?

    -Qu'est-ce que j'en sais ?

    -C'est ton sac, ta bouteille. Tu dois bien savoir.

    -Toi, il te manque un sandwich, tu peux me dire comment il a disparu ?

    -Il ne me manque pas de sandwich.

    Cyrastès eut un petit rire malicieux :

    -Oh, que si.

    Il remit son sac sur ses épaules et se remit en marche, pendant que Rtonedris hésitait avant de se décider à vérifier son sac. Citseko se sentit un peu désespéré de se retrouver avec un garçon pareil, mais plutôt rassuré que Cyrastès soit là. Si je dois choisir entre les deux, le choix sera vite vu. C'était quelque part un soulagement. Si les deux adolescents continuaient à se chercher, ils risquaient de finir par se séparer et Citseko devrait bien se décider à rester avec l'un ou l'autre, temps que Meb ne serait pas en vue. Je ne me vois vraiment pas m'aventurer dans un Grand Jeu tout seul, en fait. Un regard à Rtonedris qui continuait de compter ses sandwichs lui fit penser que ce garçon là ferait peut-être bien de rester avec quelqu'un aussi. Ou peut-être qu'il s'en sortirait mieux tout seul au final. Citseko ne resta pas plus longtemps, laissant l'adolescent réaliser que Cyrastès s'était moqué de lui pour détourner son attention de la bouteille d'eau. Ou peut-être qu'il ne le réalisera pas. L'héritier d'argent soupira de fatigue.

    -J'ai pas perdu de sandwich je te signale !

    Le cri de l'héritier d'or atteignit Cyrastès qui était déjà bien avancé :

    -Ah bon ?

    Il s'arrêta, l'air surpris. Il ne serait pas aussi dans le club de théâtre, lui ? Rtonedris les rejoignit à grand pas, l'air suffisant :

    -Et non. T'es vraiment crétin.

    Cyrastès fit un sourire idiot :

    -Je pensais.

    Puis, il reprit un air inquiet :

    -A moins que ce ne ce soit moi.

    Il mit son sac au sol pour le fouiller encore. Rtonedris le passa en gueulant :

    -Ah non ! Laisse tomber, on fera sans ! Il faut qu'on bouge maintenant.

    Citseko se demanda s'il était vraiment le seul à voir le sourire à peine dissimulé de l'héritier d'or. En voyant que Rtonedris continuait en marmonnant, il dût se résoudre à penser que oui. Il n'a sérieusement toujours aucun soupçon sur les manipulations de Cyrastès ? Comme l'adolescent se redressait, Citseko attendit sagement qu'il se mette en route afin de rester derrière eux.

    Le prochain arrêt eut lieu dans l'après-midi. Cette fois, devant eux, une caverne plus large que haute leur faisait face.

    -Il va falloir qu'on entre.

    Toujours moqueur, Cyrastès répondit à l'évidence par un simple :

    -C'est vrai ?

    Citseko ne trouva pas la provocation nécessaire, mais, comme à son habitude, Rtonedris ne vit que la bêtise feinte de l'héritier d'or :

    -Évidemment. Tu vois bien que les murs vont droit dedans.

    Les traces noires marquant la présence des obstacles prenaient en effet cette direction. Citseko ne put s'empêcher de jeter un œil par-dessus son épaule, pour voir si des Bestioles n'allaient pas débarquer comme dans le premier jeu. Rtonedris dit :

    -L'héritier d'argent devrait y aller en premier, voir s'il n'y a pas de danger.

    Citseko ne fut pas surpris et s'avança avant même que Cyrastès ne donne son avis. L'air se rafraîchit au fur et à mesure de son approche. Si bien que lorsqu'il s'arrêta devant l'entrée, l'adolescent frissonnait. L'héritier d'argent prit le temps de jeter un regard sur la droite et la gauche en se demandant si d'autres groupes se trouvaient dans un labyrinthe semblable qui les mènerait au même endroit. Comme il n'entendait rien et que rien ne semblait venir à lui, Citseko entra. Patientant un peu pour que ses yeux s'habituent à la pénombre, il finit par distinguer le mur du fond. L'adolescent s'approcha pour s'assurer que le labyrinthe ne les ferait pas bifurquer. Les traces noires le menèrent au fond, dans un boyau creusé qui s'enfonçait profondément sous la montagne. Revenant sur ses pas, Citseko fit signe aux héritiers d'or de le rejoindre. Rtonedris ne tarda pas à reprendre la tête pour aller voir le tunnel.

    -Cela a l'air profond.

    -C'est vrai ?

    Citseko retint un soupir. Si Rtonedris entendit la remarque, il l'ignora pour se concentrer sur ce qui les attendait. L'héritier d'or alluma la lampe de sa tablette, mais l'obscurité était trop profonde pour que la lumière ne la perce.

    -Bon, passe devant.

    Citseko ne se demanda pas à qui il parlait, s’avançant déjà pour entrer. A son tour, il alluma sa tablette. Ça sert pas à grand chose, mais bon, au moins, je vois où je marche. Le garçon fit un pas, puis, deux. Il faisait passer son regard des parois au sol. Certain que si un danger se présentait, il ne viendrait pas forcément d'en face. Il regretta aussi de ne pas avoir une arme quelconque. De toute façon, si quelque chose arrive, je trace dans l'autre sens et c'est tout. La dimension du couloir ne lui aurait permis qu'un demi-tour difficile. Mais faisable. En revanche, les deux autres... Citseko avait toujours été assez content de ne pas avoir une carrure aussi forte que les autres garçons et en cet instant, il en était d'autant plus ravi. Son avancé se déroulait sans encombre et l'héritier d'argent ne tarda pas à déboucher dans une autre caverne plus petite. L'adolescent n'eut pas à s'avancer pour voir qu'il n'y avait pas d'autres sorties. Pas bon. Il repartit dans l'autre sens. Dès qu'il aperçut sa lampe, Cyrastès lança :

    -Alors ?

    -C'est un cul-de-sac. Cela y ressemble en tout cas.

    Rtonedris lui jeta un regard condescendant :

    -Comment y ressemble ? C'en est un ou pas ? C'est quand même pas dur.

    Citseko précisa :

    -Il y a peut-être un interrupteur ou quelque chose pour ouvrir un passage.

    Rtonedris écarta les bras dans un geste désespéré :

    -Et t'as pas regardé ?

    -Je ne voulais pas vous faire trop attendre.

    L'héritier d'or eut un ricanement sinistre :

    -La vache, ton héritier d'or est pas gâté.

    Pensant à la dernière discussion qu'il avait eu avec Meb, il ne put s'empêcher de penser que l'héritier de son clan serait d'accord.

    Cyrastès lui fit signe d'avancer :

    -Sors, je vais jeter un œil.

    Citseko obéit. Rtonedris le bouscula pour entrer à la suite du garçon. L'héritier d'argent suivit à pas lents. Il ne voyait pas l'intérêt de se presser si c'était pour faire demi-tour dans deux minutes. Sauf s'il y a vraiment un interrupteur. Il avait dit cela à tout hasard, mais la carte n'indiquait rien de spécial.

    Comme les deux héritiers d'or commençaient à inspecter la caverne, il estima nécessaire de les renseigner :

    -Dans le premier Grand Jeu, on a dû verser de l'eau sur le sol pour faire apparaître l'interrupteur. C'est peut-être un truc du genre.

    Cyrastès baissa les yeux, envisageant cette possibilité, mais Rtonedris lança :

    -Oui, bah on va d'abord voir si on ne trouve pas d'indice avant de bousiller nos réserves d'eau.

    Citseko n'avait pas besoin d'entrer plus avant pour savoir qu'il n'y avait pas d'interrupteur visible dans la caverne. Il y en a un forcément un truc à faire, quelque chose à actionner.

    -Dans mon Grand Jeu, c'était caché dans les murs.

    Cyrastès passa la main sur la paroi tout en parlant.

    -Et on va faire tout le tour en tâtonnant ?

    Citseko soupira discrètement et Cyrastès allait répliquer quand quelque chose jaillit du mur pour s'enrouler autour de sa gorge. L'héritier d'argent sursauta, paralysé de surprise. Pendant qu'il cherchait à comprendre ce qu'il se passait, il vit des millions de petites bouches aux dents acérées apparaître sur la paroi, dans le dos de l'héritier d'or. Ce qui étranglait Cyrastès, le tirait vers ces mâchoires. L'adolescent, le corps penché en avant, utilisait toute la force de ses jambes pour ne pas reculer. Étouffant, il tendit le bras vers Rtonedris qui se tenait immobile, face à lui. Une secousse et il céda. Le dos de Cyrastès s'écrasa contre les petites bouches qui ne cessaient de mordre l'air jusque là. L'adolescent s'attaqua à ce qui lui enserrait le coup, mais deux pattes d'insecte gigantesques, rappelant celles de la mante religieuse, jaillit de part et d'autres du corps de Cyrastès. Armées de larges épines, elles allèrent se planter dans les bras du garçon, les écartant jusqu'à ce qu'il se retrouve en croix. Les pointes dans sa chair l'empêchèrent de remuer. Cyrastès hurla de rage, sentant les dents minuscules qui s'activaient dans son dos. Malgré la douleur dans ses bras et la prise sur sa gorge, il tentait de garder son corps le plus en avant possible.

    -Aidez-moi, putain !!

    Citseko ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas bouger. Son cerveau en alerte lui hurlait de faire quelque chose, mais son corps semblait inexistant. Un regard à Rtonedris qui n'en menait pas plus large que lui, lui apporta le dernier choc nécessaire. L'héritier d'argent courut se mettre face à Cyrastès et s'arrêta, ignorant ce qu'il pouvait faire. Dégage ses bras. Il saisit l'une des pattes et tenta de tirer dessus. Celle-ci lui échappa et se resserra d'autant plus, les épines s'enfonçant plus avant dans la chair. Cyrastès cria de douleur. Je suis désolé, je suis désolé. Citseko chercha au sol quelque chose qui pourrait lui permettre d'attaquer les pattes, mais tout était désespérément vide. Il revint à Cyrastès qui le fixait le visage rouge, les veines battant à ses tempes sous l'effort qu'il faisait pour éloigner son corps. Réessaye. Plus fermement, l'héritier d'argent saisit la patte et tira. S'attendant à sa tentative d'échappatoire, Citseko ne lâcha pas prise, même quand il sentit l'étau se resserrer, bloquant ses doigts entre le bras et la patte. Prenant appui sur le mur, il serra les dents et tira dans un dernier effort. La patte se relâcha soudain. En tombant en arrière, Citseko sentit des gouttes de sang lui tomber dessus. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il eut le temps de voir Cyrastès s'emparer ce qui l'étranglait avant que la patte ne reprenne son bras et le ramène à sa position initiale. Au sol, Citseko observa le garçon dont les yeux commençaient à se noyer de larme de douleur et de terreur. Qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que je peux faire ?

    -On se casse !

    Citseko était trop concentré pour vraiment entendre ce que venait de crier Rtonedris. Trouve quelque chose. Il doit y avoir quelque chose. Il fixait Cyrastès sans vraiment le voir. Celui-ci réussit à réunir assez de force pour menacer :

    -Si tu te barres je te bute !

    Rtonedris qui veillait à ne pas trop s'approcher de la paroi dans son dos, répliqua sans vergogne :

    -Y a rien à faire ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ?!

    -Il va trouver quelque chose.

    Citseko réalisa qu'il lui rendait son regard.

    -Réessaie ce que tu viens de faire sinon. On s'en fout si ça fait mal, d'accord ? Aide-moi, je t'en prie.

    Citseko ouvrit le menu « Bestiole » sur sa tablette et fit défiler une liste interminable. C'est trop long, j'ai pas le temps. Se maudissant de ne pas avoir pensé à regarder cela durant tous ces jours de tranquillité, il se redressa alors que Rtonedris allait le saisir :

    -Laisse tomber, y a rien à faire. À deux, on aura quand même assez de points...

    L'héritier d'argent revenait à la charge, s'attaquant à l'autre patte. Il essaya de saisir le haut d'une épine, assura sa prise et tira. Ce qui tenait le cou de Cyrastès, qui ressemblait, vu de près, aux anneaux d'un énorme ver de terre, relâcha soudain l'héritier d'or pour fouetter la tête de Citseko. Le coup le toucha à l'oreille et un sifflement persistant résonna tandis qu'il s'écartait. Un autre cri de rage attira son attention à temps pour voir que d'autres mâchoires étaient apparues plus haut. Si la Bestiole réussissait à plaquer le crâne du garçon contre la paroi, les petites dents s'attaqueraient directement à son cuir chevelu. Le ver ne se contentait plus de maintenir la tête en place, mais tirait sur le cou pour ramener le crâne en arrière. A moitié étranglé, Cyrastès perdait du terrain. Il va mourir. Trouve quelque chose, quelque chose pour bloquer... une illumination le frappa soudain. Le garçon vida son sac, s'empara de sa couverture de survie, la roula rapidement avant de courir la placer derrière la tête de l'héritier d'or. Le ver ne sembla pas faire la différence et relâcha suffisamment sa prise pour lui permettre de respirer. Cyrastès accueillit cet oreiller de fortune avec gratitude. Pendant que les petites mâchoires s'agaçaient sur la couverture, Citseko prit du recul en cherchant une nouvelle inspiration. Il y a forcément un truc à faire, un point faible...

    Il avait déjà essayé les pattes. La cuirasse qui les recouvrait les protégeraient contre un choc quelconque. La seule chose qui pouvait paraître vulnérable, c'était le ver autour du cou de Cyrastès. Le garçon s'en approcha sans trop savoir quoi faire de plus. Il s'en saisit néanmoins pour essayer de tirer dessus. Comme les pattes, le ver se rétracta aussitôt, étranglant l'héritier d'or. Il me faut quelque chose pour couper ou lui faire mal au moins. Il jeta un nouveau regard déséspéré alentours, sans découvrir ni pierre, ni objet qui aurait pu l'aider. Citseko avait continué d'essayer de dégager Cyrastès, mais celui-ci faisait à présent des sons étranglés, la bouche grande ouverte à la recherche d'air. Il va mourir, fais quelque chose, fais quelque chose. Paniqué, l'héritier d'argent mit ses mains sur le ver et par réflexe, plus que sous l'aspect d'une quelconque réflexion, mordit de toute ses forces. Les centaines de petites bouches émirent un cri plaintif, tandis que le ver lâchait prise pour se rétracter dans le mur. Maintenant quoi ? Toussant et crachant, Cyrastès finit par réussir à articuler :

    -J'ai des lames dans mes manches. Si tu me dégages un bras assez longtemps, je peux essayer de la sortir.

    Rtonedris, que Citseko avait complètement oublié, intervint soudain :

    -T'aurais pu le dire plus tôt !

    Cyrastès l'ignora :

    -Je crois que ces trucs ont cassé le mécanisme. J'arrive pas à les sortir.

    Citseko observait déjà la patte accrochée au bras droit avec plus d'attention. Mais comment je fais ? Chaque fois, elles finissent par se dégager. Comme s'il devinait son problème, l'héritier d'or ajouta :

    -Prend ton veston.

    Ah oui, pas con. Citseko allait retirer sa veste quand le ver rejaillit soudain, le fouettant au visage. L'héritier d'argent grogna, tandis que son bras se retrouvait prisonnier des anneaux de la Bestiole. Brusquement tiré contre le mur, Citseko évita de s'appuyer contre Cyrastès qui risquait de se faire grignoter par les mâchoires. A la place, il posa sa main libre sur le mur pour prendre appui, jusqu'à ce qu'il sente quelque chose bouger dans la pierre. Craignant l'apparition d'une bouche sous sa paume, l'adolescent la retira vivement. Son avant-bras emprisonné par le ver ne touchait pas la pierre à cause de la grosseur du ver. Il n'y aura pas de dents sauf si elles mangent le ver. Et le garçon doutait que la Bestiole apprécierait de se mordre elle-même. En attendant, je ne peux pas retirer ma veste ou aider Cyrastès. L'héritier d'or conseilla :

    -Mord-le encore.

    Citseko avait déjà déduit que c'était sa seule option, mais sans la panique d'une mort imminente, il réalisait à quel point cela le dégoûtait. Bon, tu l'as fait une fois et Cyrastès est toujours en danger de mort, techniquement. Fermant les yeux, il mordit de nouveau et, de nouveau, le ver disparu dans la pierre.

    Une fois libéré, Citseko ne perdit pas de temps. Il retira sa veste, la glissa avec quelques difficultés entre la patte et le bras, trouvant des espaces au sommet des épines. Durant ce temps, le ver était revenu maintenir le cou de l'héritier d'or. Du coin de l’œil, Citseko vérifia que la couverture de survie était toujours en place. Quand il eut terminé, l'adolescent s'écarta pour tendre la veste, enroulant les manches autour de ses mains et tira encore. Lorsque la patte se relâcha brusquement, Citseko, un instant déstabilisé, réussit à revenir rapidement, se campant sur ses jambes sans lâcher prise. La patte tirait de son côté pour reprendre prise, mais le garçon réussit à la garder en place.

    Le bras en sang, Cyrastès tenta de remonter sa manche avec sa bouche sans vraiment y réussir. Il finit par râler :

    -Je dois voir le mécanisme.

    Citseko savait que s'il lâchait prise, la patte irait aussitôt ramener le bras du garçon. Il se demandait encore comment faire, quand Rtonedris s'avança :

    -Montre, je vais le faire.

    L'héritier d'argent fut surpris de cet élan soudain de coopération. En revanche, Cyrastès écarta le bras, méfiant et furieux :

    -Dégage.

    -Tu m'engueules quand j'aide pas, tu m'engueules quand j'aide, y a un moment...

    Putain, pas maintenant. La circulation sanguine dans les mains de Citseko était amenuisée tant le tissu était serré. Ses bras devenaient douloureux sous l'effort constant. Rtonedris avait finit par réussir à s'emparer du bras de l'adolescent. Malgré sa visible réticence, Cyrastès le laissa remonter sa manche, retirer les attaches qui maintenait le mécanisme de la lame à son bras, puis retirer l'arme. Une fois qu'il l'eut en main, Rtonedris s'écarta vivement :

    -Désolé, mais tu le sais que t'es foutu.

    Cyrastès gronda :

    -Putain, j'en étais sûr.

    Bien qu'il soit un pas trop loin, Cyrastès essaya encore de saisir l'héritier d'or déversant une flopée d'insulte malgré la pression sur son cou. Rtonedris s'approcha de Citseko sans plus lui prêter d'attention :

    -Allez, viens. Il est foutu. Lâche tout. On aura déjà pas mal de points tous les deux.

    Comme l'héritier d'argent ne se décidait pas à bouger, il insista,lui mettant l'arme sous le nez :

    -Avec ça, on a plus de chance. Ramène-toi, allez.

    Cyrastès s'était calmé pour s'adresser à Citseko :

    -L'écoute pas. Aide-moi. Il faut juste que tu récupères ma lame, tu coupes ces saletés et c'est tout. On aura tous les points. Je suis sûr que ton héritier d'or préférait ça.

    Ils ne savent même pas mon nom. Un bon nombre de pensées assaillaient Citseko. Si Rtonedris avait été à la place de Cyrastès, celui-ci n'aurait pas hésité à le laisser tomber. Si l'héritier d'argent s'était fait attrapé par la Bestiole, les deux héritiers d'or seraient partis sans se retourner. Quelque soit sa décision, les deux garçons se remettraient à l'ignorer une fois dehors. Combien aurait lâché pour suivre Rtonedris ? Certainement plus que ceux qui resterait pour aider Cyrastès. Quoi qu'il en soit, sa nature ne lui laissait qu'un choix possible. Il n'hésitait pas vraiment, seulement, il avait peur de relâcher la patte en imaginant la douleur de l'héritier d'or quand les larges épines viendraient à nouveau accrocher son bras. A trois. Un, deux, trois.

    -Je suis désolé.

    Citseko laissa partir la veste. La patte s'empara du bras d'un Cyrastès hurlant de douleur et de rage. Et avant que Rtonedris ne puisse faire un geste, l'héritier d'argent lui avait envoyé la tranche de sa main dans le larynx. La douleur lui fit lâcher l'arme que Citseko rattrapa. Fébrilement, il chercha le fonctionnement du mécanisme. D'ordinaire, il aurait suffit d'appuyer sur une simple pédale pour que sorte la lame, mais une des épines avait tordu les fines branches de métal.

    -Appuie sur le secours.

    Citseko ne compris pas ce à quoi Cyrastès faisait allusion, mais remonta les différents éléments de la machine pour finir par trouver un emplacement lui permettant de glisser son pouce. Il sentit un bouton minuscule et appuya dessus. La lame jaillit.

    L'adolescent courut vers la Bestiole. Quand il trancha la première patte, les petites mâchoires firent entendre leurs cris. Citseko trancha le ver, puis la deuxième patte alors qu'elle tentait de se rétracter dans le mur. A peine dégagé, Cyrastès fit un bond prodigieux vers l'avant. L'autre héritier d'or qui se remettait doucement du coup reçu, s'écarta prudemment.

    Comme Cyrastès retirait son veston en grimaçant, Citseko s'approcha doucement :

    -Tu veux de l'aide ?

    L'héritier d'or répondit d'une voix grondante de colère :

    -A ton avis, putain.

    Citseko mit ce ton sur le compte de l'expérience qu'il venait de vivre et l'aida à enlever sa veste, dont le dos était en lambeaux, avec précaution. Lorsqu'il passa le bras, Cyrastès grimaça en disant, plus calme et inquiet qu'en colère :

    -Fais gaffe, fais gaffe.

    L'héritier d'argent hocha la tête pour montrer qu'il avait compris ce qu'il voulait dire. Le sang imbibait la chemise blanche. Évitant de trop le toucher et de faire le moindre geste brusque, Citseko réussit à enlever la veste sans provoquer d'autres douleurs au garçon. Celui-ci lui présenta son dos :

    -Dis-moi comment c'est.

    Comme la veste, il ne restait plus grand chose de la chemise. La chair avait été entamée. Jusqu'à quel point ? Du bout des doigts, Citseko écarta le tissu pour tenter de mieux voir les blessures.

    -Cela fait mal si je touche comme ça ?

    -Non. Ça va.

    Citseko détailla les différentes morsures.

    -Il te faut des Soins. Il y en a qui sont profondes.

    -Mets de l'eau dessus. Ce sera déjà ça.

    L'héritier d'argent obéit. Ça ne servira pas à grand chose. Il lui faut vraiment des Soins.

    -Aide-moi à remonter mes manches.

    Cyrastès ne bougeait ses bras qu'avec lenteur, en grimaçant. Tout comme il avait fait pour la veste, Citseko dégagea délicatement le bras meurtri. Il retira avec soin, la deuxième lame encore attachée. Le mécanisme avait autant souffert que le premier. Les épines avaient laissé des marques profondes, certaines avaient été à deux doigts de le traverser de part en part. L'héritier d'or lâcha dans un souffle en voyant ses plaies :

    -C'est pas bon, vraiment pas bon.

    Citseko demanda à tout hasard :

    -Tu veux que je mettes de l'eau ?

    Cyrastès hocha la tête et comme l'héritier d'argent commençait à s'occuper des blessures, entre deux grimaces, il lui dit :

    -Je suis désolé d'avoir crié. Tout à l'heure.

    Citseko leva le nez pour lui faire un demi-sourire avant de retourner à sa tâche. C'est ce moment que choisit Rtonedris, pensant sans doute que Cyrastès était calmé, pour faire remarquer :

    -On va devoir courir partout à la recherche de Soins si j'ai bien compris.

    L'autre héritier d'or lui jeta un regard noir en lançant sèchement :

    -Toi, tu fermes bien ta gueule !

    Rtonedris trouva le moyen de répartir :

    -Oh, ça va, si ça avait été l'inverse, tu te serais barré sans poser de question.

    Il n'a pas tort. Citseko se garda bien de laisser paraître toute trace de sa pensée sur son visage. Quand à Cyrastès, il se précipita sur l’héritier d’or et le saisit à la gorge :

    -Je vais te buter. Franchement, ta gueule.

    Voyant qu’il ne le relâchait pas, Citseko tenta :

    -Je pense que tu devrais le laisser maintenant. Tu vas vraiment le tuer.

    Rtonedris essayait de se dégager tandis que son visage changeait de couleur. Fais quelque chose. Citseko passait son regard d’un héritier d’or à l’autre. Son éducation fortement ancrée en lui l’empêcher de s’en prendre à nouveau à un héritier d’or. Le fait d’avoir pu frapper Rtonedris l’étonnait encore. Mais là… si tu dois protéger un héritier d’or… l’héritier d’argent saisit la lame qu’il avait laissé au sol en aidant Cyrastès et la posa sur le poignet de celui-ci :

    -Lâche-le où je te coupe la main.

    Sa voix n’avait rien d’autorité ou de menaçant et Cyrastès se contenta de lui jeter un regard de défi en souriant. Tu dois le faire. Il vaut mieux un héritier d’or avec une main coupé, qu’un mort. Citseko vit les yeux révulsés de Rtonedris et se décida. Alors qu’il abattait la lame sur le bras de Cyrastès, celui-ci lâcha l’héritier d’or juste à temps pour éviter de finir manchot. L’adolescent serra ses bras contre lui, regardant Citseko avec un air à la fois amusé et impressionné. L’héritier d’argent s’inquiéta pour Rtonedris qui s’était retrouvé au sol :

    -Ça va ?

    L’héritier d’or toussa un moment avant de tendre la main vers Citseko et dire d’une voix éraillée :

    -Donne moi la lame.

    Citseko se recula en secouant la tête :

    -Non, je la garde.

    Rtonedris lui jeta un regard furieux :

    -Donne la moi, tu te prends pour qui ?

    -Je la garde au cas où.

    Citseko glissa un regard vers Cyrastès en sachant que si l’héritier d’or lui demandé de récupérer son arme, il la lui rendrait sans discuter. Cependant, celui-ci semblait bien plus intéressé par sa chemise déchirée. Citseko s'empressa de retirer sa veste pour la tendre à l'adolescent. Cyrastès s'en saisit avec un sourire :

    -Cela va être un peu étriqué, mais OK.

    Rtonedris resta à distance :

    -On va peut-être sortir maintenant.

    Citseko leva un sourcil interrogateur, alors que l'héritier d'or montrait sa tablette.

    -Cela bip, si vous n'aviez pas remarqué.

    Les deux adolescents se demandèrent comment ils avaient pu ne pas l'entendre. Citseko vit qu'ils leur fallait revenir en arrière. Ayant perdu de sa superbe, Rtonedris se releva en se massant la gorge :

    -Allez, en route.

    Citseko alla ramasser le sac que Cyrastès avait laissé tomber en sortant du tunnel. Comme l’héritier d’or allait s’en saisir, Citseko proposa :

    -Je peux le porter si tu préfères.

    Cyrastès réfléchit un instant avant de dire :

    -Prend ce que tu peux dans ton sac. Je porterais le reste.

    Citseko lui présenta l’autre lame qu'il avait également, récupéré :

    -Tu veux que je l’accroche ?

    -Je préférerais, oui.

    Il lui présenta son bras et comme Citseko replaçait l’arme, il ne cessa de jeter des coups d’œil à l’adolescent, attendant le moment où il tendrait l’autre bras en lui intimant de lui rendre l’autre. Cependant, lorsqu’il eut fini, Cyrastès tendit la main :

    -File ton bras. Je vais te l’attacher.

    Citseko obéit, malgré qu’il pensait que c’était une manipulation pour récupérer son arme. A sa grande surprise, Cyrastès fit comme il avait dit.

    Quand il fut armé, que le contenu du sac fut en partie transféré, ils repartirent vers l'entrée de la caverne. En sortant, ils ne tardèrent pas à réaliser que le labyrinthe avait changé. Les garçons ne pouvaient maintenant partir que par un passage sur la droite de l'endroit d'où ils venaient. Cyrastès ne perdit pas de temps et il était déjà loin quand les deux autres sortaient de la grotte.

    -Pourquoi tu l'as aidé ? Il va crever de toute façon. Ses plaies vont s'infecter et tu vas voir qu'il nous mettra plus dans la merde qu'autre chose.

    Citseko jeta un regard en biais à l'héritier d'or en se disant qu'il avait bien fait de libérer Cyrastès. Restez avec lui seul, j'aurai fini par craquer, c'est sûr.

    -Je te propose un truc. Je ne dirais rien à ton héritier d'or à propos du fait que tu m'as attaqué.

    L'héritier d'argent se redressa en réalisant soudain qu'il avait effectivement agressé un héritier d'or sans penser aux conséquences. Mais si j'explique la situation à Meb, il comprendra... non ?

    -En échange, tu m'aides à nous débarrasser de ce boulet. Dépêche-toi de répondre, il revient.

    Cyrastès revenait, en effet, à grands pas. Citseko le regarda approcher en espérant qu'il ne venait pas raviver une dispute avec Rtonedris. Au contraire, l'héritier d'or lui saisit le bras pour le forcer à accélérer le pas :

    -Reste pas avec lui, tu vas finir con.

    Citseko fut certainement soulagé d'avoir une excuse pour ne plus marcher avec Rtonedris, mais il se demandait maintenant, s'il devait parler de sa proposition à Cyrastès. Ça va juste mettre de l'huile sur le feu. Attends de voir comment ça tourne.

    Ils marchèrent en silence pendant des heures. La nuit était tombée depuis un moment, mais Cyrastès ne semblait pas décidé à s'arrêter. Regardant frénétiquement sa tablette, il faisait à peine attention à ce qui l'entourait. Citseko marchait derrière lui, gardant les yeux sur son dos avec inquiétude. Au bout d'un moment, Rtonedris commença à se plaindre de la fatigue et de la faim. Ses deux compagnons ne lui prêtèrent qu'une oreille distraite. Bien qu'épuisé, l'héritier d'argent se refusait de demander une pause. Il devinait l'état d'inquiétude grandissante dans laquelle se trouvait Cyrastès. Si ses blessures s'aggravaient, s'il perdait trop de sang, il lui faudrait plus d'une dose de Soins et ce serait encore plus dur à trouver. Sauf si on trouve une planque qui n'a pas été pillée, mais vu le temps qu'il s'est passé depuis que le Grand Jeu a démarré...

    Citseko vint à la hauteur de Cyrastès en voyant qu'il n'avançait plus :

    -Est-ce que ça va ?

    Il se mordit la lèvre à peine sa phrase terminée. Question idiote. Malgré l'obscurité, il pouvait voir la pâleur de l'héritier d'or et la sueur qui perlait sur son front.

    -Je crois qu'il me faut une pause.

    Déjà, il laissait tomber son sac et s'allonger dans l'herbe mouillée de rosée. Citseko n'eut pas le temps de lui conseiller de prendre sa couverture de survie que l'adolescent semblait déjà endormi. Non, vraiment, il doit être encore réveillé.

    -Viens m'aider à faire un feu.

    Citseko ouvrit des yeux ronds en regardant Rtonedris qui prenait la tête. M'aider ? Il s'avança avec méfiance. À peine deux pas plus loin, l'héritier d'or lui fit face :

    -Alors ? Tu as réfléchis ?

    Citseko fixa le sol. A quoi ça sert de s'éloigner si c'est pour gueuler ? Désireux de ne pas voir s'éveiller de nouvelles disputes, l'héritier d'argent lui fit part de ses soupçons :

    -Je ne crois pas que Cyrastès soit endormi.

    Rtonedris haussa un sourcil en jetant un regard rapide au garçon au sol :

    -Tu parles. Il comate dès qu'il touche le sol.

    -Je crois qu'il fait semblant.

    L'héritier d'or eut un regard de pitié :

    -T'es vraiment pas dégourdi. Pourquoi il ferait ça ? Écouter le vent ?

    Ou écouter une discussion comme celle-là.

    -Il est clair que tu ne survivras pas tout seul. Ma proposition reste ta meilleure option. On peut prendre une sacrée avance pendant qu'il dort.

    Il ajouta avec un haussement d'épaule :

    -En plus, il sera peut-être déjà mort demain.

    Citseko secoua la tête.

    -Pourquoi ? T'as peur qu'il nous écoute et qu'il te bute pour avoir fait le bon choix ?

    L'héritier d'argent leva doucement ses yeux aux trois couleurs sur l'adolescent :

    -Non, je me dis que si mon héritier d'or devait se trouver dans sa situation, j'aimerais que quelqu'un reste avec lui.

    Rtonedris leva les yeux au ciel et le rejeta d'un geste de la main. Citseko retourna s'asseoir près de Cyrastès en gardant un œil sur l'autre adolescent. Il ne fut même pas surpris quand l'héritier d'or à son côté lui dit sans ouvrir les yeux :

    -Je n'arrive toujours pas à définir si t'es sincèrement gentil ou complètement con.

    Citseko eut un demi-sourire. Meb choisirai la deuxième option.

    -N'empêche qu'il a raison. Perso, je me serais tiré.

    L'héritier d'argent observa Rtonedris qui s'était allongé plus loin :

    -Je sais.

    Se sentant observé à son tour, Citseko baissa les yeux vers Cyrastès. Dans la pénombre, il devinait plus qu'il ne distinguait le regard scrutateur de l'héritier d'or. Celui-ci finit par proposer :

    -Si tu restes avec moi, je te jure que l'on s'en sortira vivants.

    Citseko ne put s'empêcher avec un demi-sourire :

    -Pour ça, il faudrait déjà que tu tiennes debout.

    Au moment où il se disait qu'il avait peut-être été trop familier, Cyrastès éclata de rire. Citseko vit Rtonedris se redresser avant de choisir de se rallonger. L'héritier d'argent en fut soulagé, mais il se demanda si l'héritier d'or n'allait pas s'en prendre à Cyrastès le lendemain pour avoir fait semblant de dormir et écoutait leur discussion.

    -Je ne vais pas crever si facilement. Je vais trouver des soins et après, on tiendra la route.

    Citseko hocha la tête, bien qu'il doutait que l'adolescent puisse le voir dans l'obscurité ambiante. C'est l'occasion. Demande-lui. Il hésita sur la formulation, cherchant à ne pas paraître autoritaire ou menaçant.

    -Est-ce que tu pourra m'aider à trouver mon héritier d'or ?

    Cyrastès eut un sourire satisfait :

    -Promis. Tu m'aides à trouver des Soins, je t'aide à trouver ton héritier d'or.

    -OK.

    L'héritier d'argent s'adossa au mur invisible et ferma les yeux.

     

    -Debout, Météore. On y va.

    Citseko se redressa, plus dû au fait qu'il avait entendu une voix que par le sens des paroles. Cyrastès était debout, alors que l'aube pointait à peine à l'horizon.

    -Allez, en route. Je vais réveiller l'autre.

    Citseko sauta sur ses pieds. Il se doutait que les pauses se feraient rares et courtes tant que l'héritier d'or n'aurait pas été soigné. Les quelques heures de sommeil semblaient avoir fait des merveilles. Le garçon était toujours pâle, mais il bougeait sans problème, se déplaçait rapidement. Cyrastès lança un coup de pied à Rtonedris. Celui-ci répliqua par un cri :

    -Putain de connard.

    -Ta gueule.

    Citseko grimaça. Il était sûr que ces deux-là ne s'entendrait pas de sitôt, particulièrement après ce qu'il s'était passé la veille. C'est pas grave, tant que Cyrastès tient parole. Rtonedris lui jeta un regard noire lorsqu'il passa près de lui et pendant un instant, l'héritier d'argent se sentit coupable.

    -Météore ! Ramène-toi ! Tu sais bien qu'il a une mauvaise influence !

    Citseko leva le nez en entendant les appels de Cyrastès. Météore ? Mais qu'est-ce qu'il raconte ? C'est à moi qu'il parle ? Déjà loin devant, l'héritier d'or s'arrêta pour voir ce qu'il faisait. En voyant qu'il n'avait pas l'intention de le rejoindre, l'adolescent le pressa :

    -Allez, grouille !

    Citseko se décida à courir pour arriver à sa hauteur. Satisfait, Cyrastès reprit sa route.

    Ce n'est que quelques mètres plus loin que les murs disparurent, les laissant libre de leur trajectoire. Rtonedris soupira :

    -Et maintenant quoi ?

    Choisissant de l'ignorer, Cyrastès prit une direction au hasard, traversant un champs d'herbe hautes. Citseko n'aimait pas ça. La végétation lui arrivait à l'épaule, l'empêchant de bien discerné où il mettait ses pieds. Je ne serais pas étonné qu'il y ait une Bestiole là-dedans. Comme il ralentissait par prudence, Rtonedris accéléra pour rejoindre Cyrastès. Il va encore gueuler ? Quel genre de Bestiole il peut y avoir là-dedans ? N'entendant ni dispute ni discussion au-devant de lui, l'adolescent finit par relever la tête. Les deux héritiers d'or s'étaient arrêtés et Citseko les rejoignit en deux pas. Il dût scruter un moment les herbes avant de pouvoir distinguer une fleur énorme qui se perdait dans le paysage. Cyrastès va peut-être n'importe où, mais il fait quand même gaffe à ce qui l'entoure. Aucun doute que lui serait passé à côté sans la voir. Citseko se pencha un peu pour savoir pourquoi ils ne se contentaient pas de la contourner. Cyrastès avait passé son bras devant Rtonedris, l'empêchant d'avancer. Celui-ci demanda d'un ton exaspéré :

    -On va rester combien de temps planté là à la regarder ?

    Cyrastès souffla :

    -Elle a bougé tout à l'heure.

    Citseko scruta la fleur avec plus d'attention.

    -T'es parano, oui.

    Passant le bras qui faisait barrière, Rtonedris fit un pas en avant. Aussitôt, la plante commença à se redresser. Loin de dissuader l'adolescent d'avancer, cela l'encouragea à montrer que Cyrastès avait été ridicule d'avoir eu peur d'une fleur. Au troisième pas, les pétales commencèrent à s'écarter, libérant un faisceau rouge. Un viseur ? Rtonedris restait bouche-bée en regardant un point rouge progresser vers son torse. Les mains dans les poches Cyrastès fit remarquer :

    -Je ne resterai pas là si j'étais toi.

    Le point s'immobilisa et Rtonedris ne bougeait toujours pas. Alors, Citseko tendit le bras pour le saisir et l'écarter de la trajectoire. Surprenant son geste du coin de l’œil, l'héritier d'or attrapa la main tendue... pour ramener le garçon devant lui. L'héritier d'argent n'eut pas le temps de réaliser qu'il faisait maintenant barrière entre la fleur et Rtonedris qu'un souffle bref se fit entendre. Par réflexe, Citseko retint sa respiration quand quatre projectiles le frappèrent en pleine poitrine. Ça m'a tiré dessus ! Ça m'a tiré dessus ! Il passa de l'incompréhension à la panique. Effrayé, il attendit une conséquence suite à ce tir, respirant fortement sous la peur. Son esprit se remettant peu à peu en ordre, l'adolescent réalisa qu'il n'avait qu'une sensation de piqûre et non la douleur fulgurante qu'il attendait. En baissant les yeux, l'héritier d'argent vit que les projectiles étaient quatre longues aiguilles. Ça va, ça va, c'est rien. Il retira les pointes d'une main qui tremblait frénétiquement avant de les laisser tomber au sol. Là, Citseko reprit conscience du monde qui l'entourait, notamment des hurlements dans son dos.

    -... en bouclier ! Mais ça va pas non ?!

    -Te la joue pas ! T'aurais fait pareil à ma place ! T'aller me laisser crever,là !

    -J'ai pas le souvenir que tu es accouru quand j'étais dans la merde non plus !

    -Tu vois bien, alors ferme ta gueule !

    -Mais un bouclier, putain ! Tu l'as utilisé comme bouclier !

    Citseko observa les deux héritiers d'or qui étaient à deux doigts d'en venir aux mains. Ça va, j'ai rien. Les mots restaient coincés dans sa gorge comme s'il cherchait encore à se convaincre lui-même.

    -Tu fera quoi s'il crève ?!

    -Il est là pour ça, merde !

    -T'es pas son héritier d'or sombre connard !

    Rtonedris armait son bras quand Citseko réussit enfin à articuler :

    -J'ai rien, j'ai rien. Ça va.

    Cela désamorça la situation, poussant les deux adolescents à s'immobiliser pour se tourner vers lui. Cyrastès ne décolérait pas et c'est d'un ton sec qu'il dit :

    -T'as rien, t'as rien, à qui tu veux faire croire ça. On a entendu le souffle.

    Il scrutait Citseko d'un regard critique à la recherche de blessure. Gêné par tant d'attention, l'héritier d'argent pointa les aiguilles du doigt :

    -C'était ça. On en a eu dans notre premier Grand Jeu.

    Cyrastès passa son regard sur les projectiles au sol :

    -Ce doit être empoisonné.

    Citseko secoua la tête :

    -Non. La fille de ma classe qui avait été touché n'a pas eu de problème. C'est juste pour faire peur je pense.

    Tout son être lui criait que Cyrastès avait raison. Le premier Grand Jeu n'avait pas eu le même objectif. Ici, la survie de tous les héritiers n'étaient pas nécessaire pour terminer la partie. Mais l'héritier d'or avant tout. En vérité, que ce soit le sien ou pas, cela ne changeait rien. Son état ne devait pas les ralentir. On cherche des Soins de toute façon. Je prendrais une dose pour moi, c'est tout.

    -T'as vraiment rien ? T'as pas mal ?

    Citseko secoua la tête. De toute évidence, Cyrastès n'était pas convaincu, mais Rtonedris le coupa de ses réflexions en disant :

    -Génial, on fait quoi maintenant ?

    Cyrastès lui jeta un regard meurtrier :

    -Mais tu ne vas pas râler en plus !

    -Arrête de te comporter comme un connard ! T'aurais fait quoi à ma place ?

    -Je me serais écarté, sur un coup de folie !

    -Ah ouais ? Et si ça m'avait suivi ?

    -Je me serais baissé, j'aurais couru, j'en sais rien...

    -Tu aurais pris la première personne sous la main pour te protéger !

    -Non, je me mouille pour personne, c'est sûr, mais de là à prendre un bouclier humain, non. Cela ne se fait pas par chez moi.

    -Tu dis ça parce que tu n'as pas d'héritier d'argent.

    -De un, qu'est-ce que ça peut te foutre ? De deux, c'est quoi le rapport ? Je parie ce que tu veux que tu n'en as pas non plus.

    -Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

    -Si tu en as eu, t'as dû le faire crever la première semaine pour une connerie. Mais pour l'équité de ce monde, je suis sûr que notre grand Roi dans sa toute puissance, ne permettrait pas que des gens meurent pour des cons comme toi !

    Cyrastès était à bout de souffle et Citseko en profita pour glisser :

    -Je pense qu'on devrait y aller.

    Les deux héritiers d'or se tournèrent pour reprendre la route, tout en continuant à se fusiller du regard. Citseko prit son courage à deux mains pour bégayer :

    -Je... je pense... je pense que l'on devrait éviter de faire du bruit.... au cas où il y aurait d'autres choses dans le coin.

    Rtonedris lui tourna le dos en marmonnant des insultes, mais Cyrastès s'attarda pour jeter un œil à la fleur qui avait fané juste après le tir :

    -Tu ne serais pas en train de nous demander de fermer nos gueules ?

    Pour notre survie et le bien être de mon crâne, oui.

    -Ah, non. C'était juste...

    Comme Cyrastès se détournait avec un air amusé, l'héritier d'argent ne jugea pas nécessaire de conclure.

    L'adolescent soupçonna que la seule raison pour laquelle le trajet fut calme par la suite, était que Rtonedris avançait en tête, tandis que Cyrastès était à plusieurs mètres derrière. L'héritier d'argent lui-même était encore distancé d'au moins six mètres. Citseko était inquiet des effets du poison. Il savait que ce n'était jamais des poisons rapides. Après tout, il fallait bien laisser une chance à l'héritier de trouver des Soins ou de tenir jusqu'à l'arrivé des secours s'il retirait son bracelet. L'adolescent ne sentait toujours rien et une part de lui commençait à croire que, finalement, il était hors de danger. Ce n'est que lorsque la nuit tomba qu'il réalisa qu'il se grattait avec insistance. Les démangeaisons s'étaient faites de plus en plus insistante et le garçon n'avait même pas réalisé que cela se situait à l'endroit où il avait été touché. Cela, jusqu'au soir, où il lui fallut bien une minute pour apaiser la démangeaison. Citseko resta à l'écart des deux autres qui continuaient d'avancer sans lui prêter la moindre attention. Écartant les pans de sa chemise, il vit que les contours des points d'impact avaient rougi. Oh, merde. Son cœur se mit à palpiter, mais il s'efforça de rester calme. On va trouver des Soins de toute façon. Il se demanda si sa situation se détériorerait plus vite que celle de Cyrastès. Celui-ci tenait incroyablement bien sur ses jambes, bien que sa pâleur semblait s'accentuer avec le temps. C'est peut-être juste ton imagination.

    -On s'arrête.

    Ce n'était pas une proposition. Rtonedris se tourna vers ses deux compagnons avec un regard de défi. Au lieu de protester, comme Citseko s'y attendait, Cyrastès posa son sac au sol et s'allongea. L'autre héritier d'or éprouva le besoin de lancer :

    -Et pas la peine de faire semblant de dormir, tu n'auras rien à écouter ce soir.

    Mais il ne peut pas se taire ? Citseko attendit ne serait-ce qu'un mouvement de révolte de la part de Cyrastès, mais celui-ci resta inerte. Ce doit être à cause de ses blessures. Lui-même s'allongea dans l'espoir de trouver le sommeil. Les démangeaisons le réveillèrent plusieurs fois. Il pensait n'avoir dormi que quelques minutes quand le cri de Cyrastès le réveilla :

    -Debout ! Y a des Soins ! Y a des Soins pas loin !

    Dans la seconde, Citseko fut sur ses pieds et regardait sa tablette. Il n'y a rien. Devinant son doute, l'héritier d'or lui saisit le bras en disant précipitamment :

    -Il faut avancer un peu.

    Ils dépassèrent Rtonedris qui grommelait en se redressant, puis un point blanc apparut en bordure de carte. Citseko se retint de sauter de joie, ce dont Cyrastès ne se privait pas :

    -Allez, allez, on y va. Rtonedris, si tu ne te bouges pas, on te plante là.

    Pensant aux lames cachées dans les manches du garçon, Citseko se demanda s'il parlait au sens propre ou figuré. L'adolescent partait déjà dans la direction du point. L'héritier d'argent le suivit après s'être assuré que Rtonedris s'était levé. Citseko se retint de courir de peur d'attirer des soupçons sur son état. De toute façon, ce n'est pas loin. Ils passèrent dans l'ombre d'un bois, descendirent une colline et trouvèrent l'emplacement au creux d'un vallon.

    En voyant la mine déconfite de Cyrastès, Citseko sut que quelque chose n'allait pas. Ce n'est qu'une fois l'avoir rejoint qu'il vit la terre retournée dont on avait sorti une boîte de métal qui avait été laissé grande ouverte.

    -Ils l'ont vidé. Les enfoirés l'ont vidé.

    Citseko ne se demanda pas à qui il faisait allusion. Les enfoirés en question étaient n'importe quels héritiers qui, après avoir trouvé la planque des Soins, avaient emporté toutes les doses sans en laisser aux autres. Cyrastès commença à marcher de long en large tout en maugréant des insultes, tandis que Citseko sentait son cœur sombrer avec ses espoirs.

    -On fait quoi maintenant ?

    La voix de Rtonedris parut particulièrement insupportable à Citseko qui ferma les yeux pour calmer son exaspération. Cyrastès s'était arrêté pour fixer l'héritier d'or qui continuait :

    -Il y a un plan de secours ? Marcher encore au hasard jusqu'à la prochaine planque.

    Le ton suffisant dans sa voix disait clairement à quel point cette situation le mettait dans une position privilégié. Il était le seul héritier d'or du jour encore « efficace ». Citseko rouvrit les yeux pour observer Cyrastès. Celui-ci gardait les yeux sur leur compagnon et lui parut extrêmement calme. Rtonedris n'en avait pas assez :

    -Toute cette stratégie me paraît largement compromise. Il faudrait commencer à réfléchir... même si tu n'as pas l'habitude.

    Mais il ne peut pas la fermer ? Cyrastès restait éteint. C'était comme si le fait ne pas avoir trouvé les Soins l'avait vidé de son énergie. Au moins, il reste calme, c'est déjà ça.

    -Peut-être que si vous m'aviez écouté depuis le début, on en serait pas là.

    A cette phrase, Cyrastès rendit son regard à Citseko comme s'il s'attendait à ce qu'il ajoute quelque chose. L'héritier d'argent n'ayant rien à dire, Cyrastès retira son veston en affirmant calmement :

    -Bon, bah moi, je vais lui casser la gueule. Ce sera déjà ça.

    Citseko s'accrocha à lui pour l'empêcher de foncer sur Rtonedris. Il le calma en disant :

    -On devrait chercher un autre moyen.

    Cyrastès baissa son regard sur le garçon :

    -Et quoi ? J'en ai pas l'air, mais je suis à ma limite là.

    Effectivement, il n'en a pas l'air.

    -Vous avez tant besoin de Soins que ça ?

    Les trois héritiers se tournèrent d'un bloc vers le nouveau-venu :

    -On peut faire un échange si vous voulez.

    Cyrastès l'observa un temps avant de demander :

    -C'est vous qui avez tout prit ?

    L'héritier hocha la tête. Derrière lui, deux adolescentes sortirent de leur cachette, l'une armée d'un fusil, l'autre d'un coutelas. OK, on va rester calme. Citseko posa un regard insistant sur Cyrastès comme s'il espérait lui transmettre sa pensée. Il se rendit vite compte que c'était inutile. L'adolescent avait également remarqué les armes et se présentait comme l'image même de la sérénité :

    -Quoi comme échange ?

    -De l'eau ?

    Cyrastès et Citseko répétèrent en chœur sous l'effet de surprise :

    -De l'eau ?

    L'héritier hocha de nouveau la tête :

    -Oui,une bouteille contre une dose.

    Citseko réfléchit rapidement. Comment pouvaient-ils manquer d'eau ? La végétation était luxuriante dans le coin. Il devait y avoir des sources quelque part. Et si elles avaient été asséché pour le Grand Jeu ? Ne va-t-on pas finir par manquer si on leur donne ? Sa propre bouteille était vide, suite au nettoyage des blessures de Cyrastès et il n'avait pas la moindre idée de l'état des réserves des deux autres. L'héritier d'or juste à côté de lui sortait déjà sa bouteille. Citseko lui attrapa le bras avant qu'il ne la tende au garçon et murmura :

    -On devrait peut-être voir l'état de nos...

    Il le coupa sur le même ton :

    -J'y ai pensé, mais je préfère tenter le coup sans eau et vivant que tomber raide directement.

    Citseko aurait sans doute dû proposer qu'ils tentent de continuer à chercher. Cependant, son état l'inquiétait aussi. Il ignorait quel genre de poison et combien de temps cela prendrait pour qu'il soit vraiment affaibli. Aussi, l'adolescent comprenait Cyrastès et le laissa donner le reste de sa bouteille. Sans même vérifier le contenu, le garçon leur envoya la dose que l'héritier d'or attrapa d'un geste leste. Un regard rapide pour voir le liquide d'argent, puis il se l'injecta sans hésiter. Les trois autres s’éloignaient déjà. De toute évidence, ils étaient tellement désespérés d'avoir de l'eau que la quantité n'avait pas d'importance. Ah moins que ce ne soit pas pour boire. Citseko ne chercha pas à les retenir soupçonnant que pour une autre dose, ils devraient probablement donner leur dernière bouteille d'eau. Ou à manger ou autre chose. L'essentiel c'est que Cyrastès soit sauvé.

    -On peut chercher ton héritier d'or maintenant.

    -Hein ?

    L'héritier d'argent ne s'était pas vraiment attendu à ce que le sujet revienne si vite. En fait, il pensait que Cyrastès avait fait une promesse en l'air pour s'assurer son soutien en cas de problème avec Rtonedris. Voyant que l'adolescent ne réalisait pas bien ce qu'il venait de dire, Cyrastès répéta :

    -Ton héritier d'or. On va le chercher ?

    Se ressaisissant, l'héritier d'argent bégaya :

    -Ah, heu, oui. J'ai pas... je sais pas...

    Il commença à naviguer bêtement dans les menus de sa tablette comme si cela pouvait lui donner la position de Meb. Cyrastès sursauta soudain :

    -Merde !

    L'exclamation surpris l'héritier d'argent :

    -Quoi ?

    -On aurait dû leur demander de quelle direction ils venaient, qu'on n'y foute pas les pieds.

    Ah, c'est vrai.

    -On va par là.

    Sans les attendre, Rtonedris prit la direction choisie. Citseko vit le corps entier de Cyrastès se crisper à l'ordre de l'adolescent. Oh non, pas de bagarre. Il se tint prêt à retenir l'héritier d'or, mais celui-ci prit une profonde inspiration, sembla réfléchir puis déclara :

    -Non, c'est bon. Je contrôle. Ça va.

    Citseko eut un demi-sourire :

    -Sûr ?

    -Oui, oui.

    Il allait suivre Rtonedris quand celui-ci leur lança :

    -Vous vous grouillez ? On a perdu assez de temps avec toutes vos conneries.

    Aussitôt, Cyrastès tourna les talons :

    -Nope. J'ai changé d'avis. Je me casse.

    Citseko le rattrapa :

    -Il vaut mieux qu'on reste tous les trois. Surtout qu'il est le seul à avoir de l'eau maintenant.

    -Re merde !

    L'héritier d'or souffla, sautilla sur place pour évacuer son agacement, avant de repartir vers Rtonedris. Citseko en profita pour jeter un coup d’œil rapide sous sa chemise. Les marques rouges s'étaient étendues. On va trouver des Soins. Il n'y a pas de raison. On va trouver. La voix de Cyrastès se fit entendre :

    -Météore, si tu me laisses seul avec lui, ça va mal finir !

    Citseko s'empressa de les rejoindre avant qu'il ne mette sa menace à exécution.

     

    Les choses furent très loin de s'arranger. Rtonedris se dirigeait clairement vers la sortie et Citseko n'avait rien trouvé à y redire. Après tout, n'est-ce pas là-bas que tout le monde se rendait. Meb n'avait aucune raison de traîner ailleurs. Cyrastès était tellement concentré sur l'idée qu'il ne devait pas s'énerver qu'il ne questionna même pas la décision. L'héritier d'argent marchait derrière pour pouvoir se gratter sans attirer l'attention. Cela faisait deux jours qu'ils n'avaient plus croisé personne et n'avait trouvé qu'un refuge déjà pillé. Ils eurent la chance de trouver un réservoir d'eau pour récupérer et remplir des bouteilles, mais c'était maintenant leur réserve de nourriture qui devenait inquiétante. Citseko portait maintenant son sac par-devant pour dissimuler les tâches de sang qui commençaient à apparaître sur sa chemise. Il prêta attention à ce qu'il se passait devant lui quand Rtonedris demanda :

    -Cyrastès, il te reste à manger ?

    -Non.

    Menteur. L'héritier d'argent savait qu'il lui restait au moins encore un sandwich entier. Sachant bien que l'adolescent n'irait pas le donner à leur compagnon, Citseko ouvrit son sac en disant :

    -J'ai, si tu veux.

    Rtonedris se contenta de tendre la main et il lui donna la moitié de son sandwich de la veille.

    -C'est quoi ça ? Tes restes ?

    Surpris de l’énervement du garçon Citseko cafouilla :

    -Bah, je... je...

    Cyrastès lui arracha le sandwich des mains pour le rendre à l'héritier d'argent :

    -T'en veux pas ? Alors, rends-le.

    Citseko n'eut pas le temps de toucher l'emballage du repas que Rtonedris le reprenait :

    -C'est bon, j'ai la dalle.

    -Donc tu la fermes.

    L'adolescent en profita pour lui demander :

    -T'as pas de nouvelles de ton héritier d'or ?

    Citseko secoua la tête :

    -Non. Il n'y a toujours rien sur la carte.

    -Et ça ne te gène pas qu'on aille vers la sortie ?

    L'héritier d'argent arrivait à son niveau :

    -En fait, je me disais que mon héritier d'or s'y dirigerait de toute façon. Peut-être qu'on le croisera à un moment ou un autre.

    -Donc on continue par là ?

    Citseko sentit bien qu'il aurait souhaité qu'il réponde par la négative, mais il se contenta de hausser les épaules à son tour. Cyrastès soupira, visiblement déçu :

    -J'avais espéré trouver une excuse pour emmerder Rtonedris.

    Les deux garçons se dévisagèrent, l'un dubitatif, l'autre boudeur. Finalement, c'est Cyrastès qui termina la discussion en tournant les talons :

    -Je m'ennuie. Marcher, marcher, au bout d'un moment...

    Citseko n'entendit pas la suite et n'y prêta pas grande attention. Il avait de nouveau une furieuse envie de se gratter. Cependant, il se retint, attendant impatiemment le soir pour voir l'état de son corps.

    Sitôt qu'ils trouvèrent un endroit acceptable pour dormir, Citseko s'éloigna pour trouver de quoi faire le feu. Il jeta un coup d’œil pour s'assurer que les autres étaient assez loin et ouvrit sa chemise. N'ayant pas de tissu à disposition, il arracha des feuilles, les mouilla, puis tapota doucement sa peau irritée. La peau était maintenant rougie de son torse à son ventre. L'adolescent fronça les sourcils en voyant que sa peau semblait s'effriter. Avec précaution, il en saisit un bout et vit son épiderme partir dans un mélange de pus et de sang. Oh merde. Citseko lâcha le lambeau arraché sur le sol. Il ne ressentait aucune douleur, ce qui était probablement le seul point positif à cet instant.

    -Qu'est-ce que tu fous ?!

    Citseko sursauta en entendant Rtonedris. Rapidement, il referma sa chemise, ramassa du bois, revint installer le foyer avant de s'asseoir à proximité. Pour dormir, il serra son sac contre lui, craignant que Cyrastès,qui se levait toujours en premier, ne voit les tâches de sang sur sa chemise. Les yeux à peine fermés, le garçon sombra dans un sommeil sans rêve.

    -Météore, hey, Météore. On se lève. Hey ho.

    Avec difficulté, Citseko ouvrit les yeux.

    -La vache. T'es KO ce matin ? Ça fait une heure que j'essaie de te réveiller.

    L'héritier d'argent dévisagea un instant Cyrastès, luttant encore contre le sommeil. Au final, il se leva sans rien dire, serrant toujours son sac contre son corps. Il réussit à retenir une grimace, quand sa chemise se détacha de sa chair à vif lorsqu'il bougea. Le garçon sentit même un autre morceau de peau se déchirer. L'héritier d'or lança une poignée de terre à Rtonedris :

    -Debout !

    Rtonedris poussa un cri de rage en se levant. Cyrastès se tint sur ses gardes au cas où l'autre héritier d'or voudrait se défouler sur lui. Choisissant de ne rien manger, Citseko plaça son poing entre son corps et son sac pour éviter tout frottement.

    Cependant, la journée passant, les choses ne firent que s'aggraver. Le sang s'étendait sur sa chemise, sa peau était partie, sa chair le brûlait. De toute évidence, les choses accéléraient maintenant et il craignait bien de ne plus en avoir pour longtemps. Citseko ne réussit pas à se réjouir quand le lendemain, ils trouvèrent une réserve de nourriture exclusivement qui n'avait pas été pillée. Ses défenses étaient complètement endormies vis à vis de ce qui l'entourait. Une Bestiole aurait pu leur tomber dessus sans qu'il ne s'en aperçoive. Tout son esprit était centré sur les plaies qui s'étendaient sur son torse. Mis à part la sensation permanente de brûlure, aucune douleur n'était apparue.

    Le lendemain, il eut encore des difficultés à se réveiller. Cyrastès le secouait depuis un moment quand il réussit à ouvrir les yeux.

    -Eh ben. Il est temps que ça se finisse ou on va te perdre.

    L'héritier d'or rit à sa propre plaisanterie, mais Citseko se contenta de veiller à dissimuler sa chemise souillée. Une chance qu'ils ne s'intéressent pas trop à moi ou ils auraient déjà remarqué que quelque chose clochait. Sa peau commençait à s'effriter sur ses hanches. Est-ce que ça va me ronger progressivement ?... tant que ça fait pas mal, ça ira. Deux jours plus tard, au matin, il ne put qu'écouter ce qu'il se passait autour de lui, incapable d'ouvrir les yeux.

    -On ne le laisse pas.

    -Il est en train de crever ! Tu veux qu'on se le traîne ?

    Ah, cette fois, ils ont remarqué. Cyrastès ne dit rien pendant un instant, puis décida :

    -On lui retire son bracelet.

    Non. Rtonedris même, désapprouva ce choix :

    -On va perdre des points....

    -Donc on se le traîne, bordel ! Tu veux quoi ?!

    Cette fois, ce fut Rtonedris qui resta silencieux. Sentant que l'on s'approchait de lui, Citseko rassembla ses forces pour refermer sa main sur le bracelet, empêchant Cyrastès de le lui retirer.

    -Qu'est-ce que tu fous ?

    L’héritier d'argent ouvrit difficilement les yeux, le sommeil commençant à peine à s'évaporer. Cyrastès lui apparut flou un instant.

    -Mon héritier d'or n'aura pas mes points privilèges.

    -Tu ne crois pas qu'il en a rien à foutre ? Il préférera te retrouver en vie, je suis sûr.

    Citseko ne put s'empêcher de laisser échapper un ricanement douloureux. Cyrastès essaya encore de lui faire lâcher prise, sans y parvenir. Il ajouta alors, parlant avec douceur comme à un enfant :

    -Écoute. Si j'enlève ton bracelet, les secours vont venir te chercher. Je ne sais pas quel genre de poison c'est, mais on n'est pas prêt de trouver d'autres Soins...

    Avant qu'il ne continue, Citseko dit fermement :

    -Laisse mon bracelet.

    Cyrastès s'agaça :

    -Pourquoi tu n'as rien dit aussi ? On aurait prit deux doses aux autres.

    Citseko savait que si Cyrastès y mettait toute sa force, il ne pourrait pas l'empêcher de retirer son bracelet. Frustré par sa propre impuissance, il sentit les larmes lui brûler les yeux et supplia :

    -N'enlève pas mon bracelet, s'il te plaît.

    L'héritier d'or fronça les sourcils :

    -Il y a un moment, il faut que tu réalises que tu vas mourir.

    La vue brouillée par les pleurs, Citseko serra encore sa main sur son poing :

    -Mais il aura mes points.

    Cyrastès se redressa, le dévisagea en réfléchissant, avant de dire :

    -J'espère qu'il vaut le coup cet héritier d'or.

    Il se leva pour se tourner vers Rtonedris qui demanda :

    -On fait quoi alors ?

    Cyrastès eut une mine exaspérée :

    -T'as pas d'autres questions ?

    Citseko attendit quelques secondes avant de s’estimer assez solide pour se lever :

    -C'est bon. On peut y aller.

    Il ne chercha plus à cacher sa chemise couverte de sang. De toute façon, la tâche était maintenant trop étendue pour pouvoir être dissimulée d'une manière quelconque. J'espère qu'on va continuer à ne croiser personne parce qu'ils risquent d'avoir peur.

    -T'as pas mal ?

    Citseko secoua la tête en réponse à Cyrastès. Les yeux hypnotisés par le rouge de la chemise, l'héritier d'or insista en fronçant le nez :

    -C'est vrai ? Même pas un peu ?

    Citseko avoua :

    -Cela brûle, mais c'est tout.

    -C'est déjà pas mal, non ?

    Ah, évidemment, vu comme ça. Rtonedris ouvrit la bouche pour parler, mais Cyrastès leva une main pour le faire taire :

    -On va marcher. Voilà ce qu'on va faire. On va chercher des Soins et son héritier d'or. Voilà ce qu'on va faire. On continue vers la sortie

    Il pointa la direction d’un geste sec et conclut :

    -Voilà ce qu'on va faire.

    Rtonedris râla :

    -Pourquoi tu fais un discours si c’est juste pour faire ce qu’on faisait avant ?

    Ce à quoi Cyrastès répondit sans se retourner :

    -Pour te faire chier !

    Citseko soupira, mais se contenta de suivre en silence. Il ignorait si c'était entièrement dû à son état ou si la monotonie des journées avait son rôle à jouer, cependant l'héritier d'argent passa la journée à moitié endormi. Aussi, quand ils s'arrêtèrent pour dormir, il fut le premier au sol et si Rtonedris râla parce qu'il n'avait pas fait le feu, il n'en entendit rien.

    Citseko ouvrit les yeux en réalisant qu'on le secouait frénétiquement. La panique dans la voix de Cyrastès le força à immerger :

    -Grouille, grouille, grouille. Il y a quelque chose qui arrive.

    L'héritier d'argent voulu se dépêcher, bondir, mais son corps était lourd de sommeil et son esprit en panique ne réussit pas à le faire accélérer.

    -Allez, bonhomme, on bouge.

    Cyrastès passa ses bras sous ses aisselles pour le soulever et le mettre sur ses jambes. Rtonedris finit par cracher entre ses dents :

    -Putain, ferme-la. Je l'entends plus.

    Citseko se tenait adossé à l'héritier d'or pendant qu'il sentait son corps se réveiller peu à peu. Pour une fois que Cyrastès écoutait Rtonedris et se taisait, l'adolescent comprit que la situation devait être grave. Progressivement, l'héritier d'argent commença à entendre quelque chose. Un galop ? Quelque chose galope ? Une Bestiole. Le son de la course se fit de plus en plus net. Citseko se redressa d’une part, pour chercher la direction d'où la créature provenait, d'autre part pour définir de quel côté elle se dirigeait. Cyrastès finit par dire :

    -OK. Elle vient sur nous.

    Les trois garçons prirent aussitôt la fuite. Citseko ne tarda pas à se retrouver dernier, ralenti par le poison qui faisait s'attarder le sommeil dans ses membres. Il entendait la Bestiole se rapprocher rapidement maintenant. Il entendait les branches craquer, les pierres s'entrechoquer. Toujours plus proche. C'est pas bon. Il était évident qu'il ne tiendrait pas longtemps. Il serait le premier à se faire dévorer, puis la Bestiole reprendrait sa course pour rattraper les héritiers d'or. T'es foutu, t'es foutu de toute façon. Citseko commença à penser qu'il devrait trouver un moyen de sauver les deux adolescents. L'héritier d'or avant tout. Il hésita pendant encore quelques foulées avant de s'arrêter. Si cela avait été Meb, tu n'hésiterais pas. Citseko alluma sa lampe ce qu'aucun des garçons n'avait pris le temps de faire avant de fuir, en espérant attirer la Bestiole. Il écouta le galop se rapprocher et s'efforça d’attendre tout en en profitant pour reprendre son souffle. L'adolescent dû prendre son courage à deux mains pour jeter un regard par-dessus son épaule. La masse obscure était presque sur lui.

    Citseko repartit en courant, déviant de sa précédente trajectoire. Il crut bien entendre un arbre tomber quand la Bestiole freina pour changer de direction. L'adolescent n'eut pas besoin de se retourner cette fois, pour savoir qu'il n'en avait plus pour longtemps. Son corps recommençait à sentir une fatigue anormale. Ses jambes flanchèrent. L'héritier d'argent s'étonna de voir le sol se rapprocher, tenta de se rééquilibrer en battant des bras avant de, finalement, se retrouver à genoux. Citseko se recroquevilla, les bras entourant sa tête, son front sur ses genoux, comme si cela pouvait faire une différence. L'adolescent attendit l'impact.

    Quelques secondes et il réalisa que la Bestiole ne bougeait plus. Elle semblait fouiller le sol à quelques mètres derrière lui, comme si elle ignorait où le chercher. J'ai ma lumière allumée pourtant. L'héritier d'argent ouvrit les yeux et leva légèrement la tête. Il pouvait voir le faisceau lumineux qui éclairait son côté gauche. Qu'est-ce qu'elle fait alors ? Citseko attendit encore, jusqu'à ce que ses yeux se ferment tous seuls et qu'il se secoue pour rester éveiller. La Bestiole s'arrêta de fouiner, mais ne l'attaqua pas. Elle m'a repéré? Toujours aucune attaque. Le garçon en déduisit qu'en effet, la créature ne savait pas où il était. Mais pourquoi ? Avec lenteur, il tourna les épaules pour porter sa lampe sur la Bestiole. Celle-ci faisait deux fois sa taille. Un corps de sanglier pour une tête d'ourse. Une tête, qui, comme il pouvait le voir à présent, était aveugle. OK, mais elle se fie à son ouïe alors ? Si c'est comme ça, comment elle ne peut pas repérer ma respiration ? Son souffle était irrégulier après la course qu'il avait effectué, mais la Bestiole semblait continuer à guetter sans se décider à bouger.

    Au bout d'une minute de fixation silencieuse, la créature se remit à farfouiller le sol. Ce n'est pas l'odorat non plus, elle m'aurait trouvé aussi. Citseko sentait son corps s’endormir petit à petit. Il était détendu et son esprit commençait à s'embrouiller. Concentre-toi, la Bestiole. L'adolescent continua de la pointer avec sa lampe sans qu'aucune pensée ne lui traverse le crâne. Puis, comme elle faisait un pas vers lui, la notion de danger reprit une petite place dans la brume qui l'enveloppait. Pas vue, pas ouïe, pas odorat, alors quoi ? Pourquoi nous a-t-elle couru après ? Comment ? Aucune thèse ne se forma suite à ses réflexions. Au lieu de cela, l'adolescent sentit son corps partir en avant, épuisé. Citseko se rattrapa de justesse en posant une main au sol, peu désireux que ses plaies purulentes n'entrent en contact avec la terre. Un galop dans son dos le fit se propulser sur le côté au moment où la Bestiole le dépassait dans un coup de vent terrible. Citseko hurla quand une pierre lui râpa les côtes, faisant abondamment saigner sa chair à vif. Pourquoi ? Pourquoi ? Sa respiration s'était changée en hoquet douloureux. N'osant plus bouger, il leva les yeux sur la Bestiole qui s'était arrêtée. Réfléchis, allez. Au moins, la souffrance avait eu ce point positif de le réveiller un peu plus. Qu'est-ce que tu as fait pour qu'elle attaque ? Comme si la créature l'avait à nouveau perdu, elle s'était remise à fouiner le sol avec frénésie. Citseko se rappela ses faits et gestes pour retrouver ce qui avait pu provoquer l'attaque. J'ai posé ma main sur le sol. C'est ça? Le sol ? Très lentement, il saisit la pierre qui l'avait blessé et l'envoya le plus loin possible. Quand elle toucha le sol, la Bestiole tourna la tête, mais s'en désintéressa bien vite. Ce n'est pas le son. C'est les vibrations dans le sol. Non seulement l'adolescent réalisa cela, mais en plus, il comprit que ça pouvait faire la différence entre ce qui pourrait lui servir de repas ou non.

    La Bestiole se redressa soudain. Elle a repéré quelque chose. Citseko n'entendait rien, ce qui ne voulait pas dire qu'il n'y avait personne. Je fais… son regard rencontra le reflet métallique provoquait par la lampe sur l’armature qui tenait la lame à son bras. …….mais t’es complètement con ? L’adolescent fit sortir l’arme et quand il vit que la créature se préparait à bondir, l'héritier d'argent se mit sur ses pieds, frappant le sol le plus fort qu'il put. La Bestiole se détourna de ce qui avait attiré son attention pour se précipiter sur lui. Citseko allait se jeter sur le côté à nouveau, malheureusement, ses jambes le trahirent. Tombant au moment où la créature arrivait, un sabot immense lui écrasa la jambe. Son cri se mêla au craquement des os. Il ravala des larmes de douleur qui risquait de lui brouiller la vue et observa la bête qui s'était arrêtée un peu plus loin. Frappe, c’est le moment ! La Bestiole se redressait à nouveau. De toute évidence, une ou des personnes étaient dans les environs. Citseko tendit son bras pour frapper. La lame traversa la joue de la créature qui hurla en reculant. Les veines du garçon battaient à ses tempes, l'empêchant de vraiment réfléchir. Tremblant, sur sa seule jambe valide, il ne réussit qu'à se redresser à demi avant que la Bestiole ne revienne sur lui. Je ne vais pas y arriver. Juste une poussée. Pendant que, dans sa tête, deux voix contraires tentaient de le faire agir, il se tint prêt à frapper à nouveau. Citseko s'entendit expirer, puis, dans la seconde, un bras s'entoura autour de sa taille pour le tirer hors du chemin.

    Un nouveau cri de douleur provoquait par le choc sur son corps meurtri. Sentant la prise autour de lui se relâcher, il s'accrocha à la personne qui venait probablement de lui sauver la vie :

    -Ne bouge pas, ne bouge pas, ne bouge pas.

    Derrière le voile de douleur de ses yeux, il entraperçut Cyrastès qui le fixait avec incompréhension. Tout son corps était tendu, prêt à partir en courant. Citseko s'empressa d'expliquer :

    -C'est le sol. Je crois qu'il sent les vibrations dans le sol.

    L'héritier d'or se tourna vers la Bestiole qui s'était encore arrêtée après sa charge. Après avoir farfouillé le sol un instant, elle se redressa pour la troisième fois.

    -Il y a quelqu'un d'autre. Rtonedris n'était pas avec toi ?

    Cyrastès sembla répugner à répondre, pas convaincu que la Bestiole était sourde. Voyant que celle-ci n'allait pas tarder à charger, Citseko se redressa en utilisant l'héritier d'or comme appui.

    -Qu'est-ce que tu fous ?

    -Je vais l’attaquer. Profites en pour t’enfuir.

    Cyrastès fronça les sourcils :

    -Dans ton état ? Tu déconnes ?

    Citseko ne fut pas étonné du commentaire et choisit de l'ignorer. Une fois debout, il se propulsa en avant, tête la première, se réceptionnant dans une roulade qui l'éloignait de l'héritier d'or. La Bestiole le repérant de suite, revint sur lui, mais Citseko était déjà prêt à la recevoir. Au sol, percé de douleur, il pria pour ne pas rater son coup cette fois. Elle me chopera au prochain coup. Tiens le temps qu’il faut pour que Cyrastès se barre. Citseko se jeta sur le côté au passage de la Bestiole tout en tendant le bras, entaillant le côté de la créature. Il n'en pouvait plus de douleur et de fatigue, mais il put voir que la Bestiole était tombée. J’ai réussi ? L’adolescent crut bien qu’il allait pleurer en la voyant se relever.

    -Fais du bruit, Météore, je m'en occupe.

    Sans hésiter, se disant que la situation ne pouvait de toute façon pas être pire, le garçon frappa le sol du plat de la main. Ses yeux se fermaient tous seuls, mais il lutta pour voir si Cyrastès réussirait. La Bestiole hurla lorsque l’héritier d’or lui trancha une patte. Alors qu’elle se tournait vers lui, Cyrastès courut pour la contourner. Handicaper par son membre en moins, la Bestiole avait grandement perdue en vitesse et agilité. Évitant un coup de patte, puis un coup de dents, Cyrastès la frappa au crâne et la créature s’effondra en faisant trembler le sol. Incapable de bouger plus, Citseko réussit à glisser entre deux souffles, en distinguant la silhouette de l'héritier d'or qui se rapprochait :

    -On aurait dû commencer par là.

    Cyrastès lui fit remarquer :

    -Tu ne m’as pas tellement laissé le temps de faire des propositions.

    Citseko dévisagea l'adolescent qui s’asseyait à ses côtés.

    -Je vais mourir.

    C'était une affirmation. Il sentait son corps l'abandonner. L’héritier d’argent avait peur et sommeil en même temps. Comme les larmes glissaient sur ses joues, une main poisseuse de sang se referma sur la sienne :

    -Mais non, t'inquiètes. On va trouver des Soins et tout ira mieux.

    Citseko n'avait jamais entendu Cyrastès parler aussi doucement et cela le fit sourire à travers ses larmes. Cependant, ce ne fut qu'un passage fugace. Les pleurs furent incontrôlables pendant une minute, avant qu'il ne se reprenne. Tu vas l'inquiéter si tu continues de pleurer. Il pourrait s'en vouloir. L’héritier d’argent aurait bien essuyé ses larmes, mais ses bras étaient trop lourds. Cyrastès restait silencieux, tenant toujours sa main. Citseko écouta sa respiration. Ne luttant plus contre le sommeil, il s'endormit. Le lendemain, il ne se réveilla pas.

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