• VI - Elférad

    Elférad Juéllit

    Rang : Or

    Héritier de la grande famille Juéllit

     

    Elférad n'était pas fan du cache-cache. C'était le moins que l'on puisse dire. Il se dirigeait vers la salle de bain du première étage sans trop de conviction. En même temps, mis à part les salles de bain et les toilettes, où ils auraient pu aller ? Un cri derrière lui, lui fit lever les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'elle a à gueuler celle-là ? Il s'arrêta au milieu du couloir en se disant soudain qu'ils pouvaient avoir triché. Peut-être pas tous, mais Matior avait toujours été un peu fâché avec les règles. S'il s'est planqué dans sa chambre, je le tue. L'adolescent hésitait maintenant. Était-ce vraiment nécessaire de vérifier cet étage ? Après tout, d'instinct, ils seraient probablement aller à leur propre étage, non ?

    L'héritier d'or perçut une voix qui lui fit tendre l'oreille. C'est Gzadien, ça. Il écouta un instant, sans saisir les paroles prononcées. Ça peut pas être lui, t'es complètement obsédé mon pauvre garçon. Pourtant, il continua à écouter avant de se conforter dans son idée. Mais si, c'est Gzadien. Il se retourna vers les escaliers et ne vit personne. Perplexe, Elférad revint sur ses pas pour rejoindre le palier de l'étage. Dans les marches menant au rez-de-chaussée, deux filles agitées, râlaient :

    -Non, mais j'y crois pas. Pour qui ils se prennent ?

    -T'as vu comment elle nous a poussé ? On aurait pu tomber.

    Elférad les coupa :

    -Excusez-moi, il s'est passé quoi ?

    L'une d'elle lui répondit avec colère :

    -Deux abrutis plantés au milieu des marches. Ils ont failli nous faire tout dévaler.

    Deux ?

    -Il y avait un garçon aux cheveux oranges ? Yeux bridés, pupilles d'argent ?

    L'adolescente hocha la tête :

    -Ouais et une fille aux cheveux bleus.

    Ce ne pouvait être qu'Hiloy. D'où ils sortent ? Ils me suivaient ?

    -Ils sont partis par où ?

    Elles montrèrent le rez-de-chaussée et il dévala les marches sans les laisser ajouter quoique ce soit. Elférad aperçut la porte menant au sous-sol, entrouverte. Je l'avais fermée ? Il y retourna, s'arrêtant en haut des marches, réfléchissant à l'endroit où ils auraient pu se cacher avant de descendre. L'adolescent était passé dans la salle commune sans s'arrêter. Se disant que personne ne tenterait de se cacher au milieu des autres héritiers présents qui risquaient de révéler leur planque. Il y avait le placard au fond du couloir où il ne s'était pas attardé non plus. D'une part, parce qu'il avait la flemme, d'autre part parce qu'il avait entendu les pas précipités de ses amis dans les marches. L'héritier d'or s'était donc dit que, de toute façon, ils étaient tous en haut. Mais du coup, là, ils seraient redescendus ? Il essaya de calculer mentalement le temps qu'il lui avait fallu pour descendre les marches et aller jusque là. Je les aurais vu. Il se retourna et vit l'espace sous les escaliers menant au premier étage. Elférad les imagina facilement se planquer là, alors qu'il revenait au rez-de-chaussée, puis, profitant de sa fascination pour le sous-sol, ils avaient dû remonter. Ça me soûle.

    Il décida de remonter. Le jeune homme vérifia la salle de bain et les toilettes des garçons au premier étage et prit le temps de la réflexion sur la façon de procéder du côté des filles. Il ne pouvait décemment pas entrer tranquillement dans leur salle de bain. Elférad arrêta une fille qui venait de sortir de sa chambre :

    -Excuse-moi.

    -Oui ?

    Il fit son sourire le plus aimable, passant sa main dans ses cheveux châtains d'un air gêné :

    -J'étais censé retrouvé des amies ici, il y a dix minutes et je me demandais si elles n'étaient pas en train de traîner dans la salle de bain ou aux toilettes. Est-ce que je peux te demander d'aller voir ?

    La fille hocha la tête :

    -Elles s'appellent comment ?

    -Laxo, Bélera et Falibi.

    Elle tourna les talons. Elférad supposait que la présence de garçon chez les filles auraient provoqué une certaine agitation qui les aurait fait repérer. Pour ce qui était des filles, il comptait sur le fait qu'appeler par une inconnue, elles se sentiraient obligées de répondre. Cependant, la fille revint sans nouvelle. Il répondit simplement :

    -On a dû se louper. Merci.

    Il procéda de la même manière pour le deuxième et troisième étage, sans succès. Il commençait à croire qu'ils s'étaient tous volatilisés quand un détail lui revint. Neghttris leur avait parlé, il y avait deux soirs de cela, de l'étage à l'abandon. Ils en étaient arrivés à discuter de cela car Matior avait trouvé une porte au troisième étage qui dénotait avec les autres. Qu'est-ce qu'il était allé foutre au troisième étage, ça.... Elférad fit calmement le tour de l'étage pour trouver au fond du couloir des garçons, une vieille porte en bois. Ah oui, ça dénote. Le crochetage de serrure faisait parti d'un apprentissage de base pour beaucoup d'héritier. Il savait au moins que si c'était ouvert, ils étaient montés. Ses amis n'auraient sûrement pas résisté à l'envie de découvrir un étage à l'abandon et il n'aurait pas été étonné qu'ils aient entraîné les autres avec eux.

    Elférad tourna la poignée sans problème. L'adolescent sourit et grimpât les marches de bois étroites et grinçantes. Il n'y avait pas de lumière sous les toits. Neghttris leur avait expliqué que cet étage était à l'origine le dortoir des héritiers d'argent. A l'origine, il était hors de question qu'ils partagent les chambres des héritiers d'or, alors ils avaient été entassés dans les combles pendant des années.

    Le couloir faisait le tour du bâtiment et les portes des chambres se trouvaient à intervalle régulier sur les murs de droite et de gauche. La seule lumière à disposition venait de la fenêtre au fond du long couloir. Le jour se couchait et il ne bénéficierait pas de ce brin de lumière encore longtemps. Avant de se lancer dans la recherche, il se rendit au fond du couloir, ouvrit une chambre, se glissa à l'intérieur et tendit l'oreille. Elférad entendit le grincement des marches quelques instants après. Il perçut l'approche des pas et quand il les jugea assez près, l'héritier d'or bondit dans le couloir en hurlant de toute ses forces.

    Gzadien et Hiloy firent un bond qui fit éclater de rire l'adolescent. Son petit-ami serra les dents :

    -Putain, qu'il est con celui-là.

    Hiloy partagea l'hilarité d'Elférad un moment avant de se ressaisir :

    -On fait quoi, du coup ? On attend que t'ais trouvé tout le monde ?

    Elférad secoua la tête :

    -Non, vous m'aidez à chercher, ça ira plus vite. Gzadien, tu fais ce couloir. Hiloy, celui de l'autre côté. Moi, je vais dans celui-là.

    Il montra la dernière porte au bout du couloir. Hiloy trépignait :

    -Ça fait peur, c'est trop bien.

    Iel s'éloigna tout sourire. Son excitation n'était pas partagée par Gzadien :

    -Donc, moi, je dois rester là.

    Elférad précisa :

    -Tu fouilles les chambres.

    Gzadien rejeta la tête en arrière :

    -Aaaaaah, OK.

    Il entra dans une chambre au hasard et Elférad se dirigea vers le coin qu'il s'était attribué. Il passa la porte menant au dortoir adjacent. Ici, il avait des fenêtres ridiculement petites sur sa gauche qui lui éclairaient le couloir. C'est mieux que rien. L'héritier d'or commença à fouiller les chambres. Les meubles inutilisables avaient été abandonnés sur place. Des sommiers de lits superposés, de vieilles armoires à moitié démontées et d’autres détritus. L'odeur de moisissure et de renfermée lui fit froncer le nez, mais il se força à fouiller. Soulevant, écartant tous les obstacles potentiels, puis passa à la seconde chambre. Moins encombrée, Elférad l'embrassa d'un regard avant de lever la tête. Il se demandait s'il n'était pas possible de grimper sur les poutres pour s'y cacher. A cet instant, la porte de l'armoire derrière lui s'ouvrit brusquement et le garçon eut le temps de voir une silhouette se glisser dans le couloir avant de s'élancer à ses trousses. A gauche.

    -Gzadien ! Il y en a un qui vient vers toi !

    Il vit la silhouette hésiter à son cri, mais Elférad l'empêchait de revenir. Alors, elle tenta le tout pour le tout et passa dans l'autre couloir. Presque aussitôt, il entendit crier. Lorsque le jeune homme passa la porte, il trouva Bélera dans les bras de Gzadien. La jeune fille se laissait porter en souriant :

    -On change de camp quand on est trouvé ?

    Elférad confirma :

    -Exact. On l'a décidé comme ça. Donc si tu sais où se trouve les autres, n'hésite pas.

    Gzadien la relâcha :

    -Et vite, le décompte ne va pas tarder.

    Elférad jeta un regard à sa montre dans les restes de lumière qui passaient par la fenêtre :

    -Ah ouais, au boulot. Tu peux prendre le dernier côté du bâtiment, Bélera, Hiloy fait déjà celui de derrière.

    La jeune fille hocha la tête :

    -OK.

    Ils retournèrent à leur place. Elférad était à sa quatrième chambre quand il entendit un cri qui finit en éclat de rire. Il se demanda un moment si c'était Lyert ou Matior. l'adolescent fouilla une nouvelle pièce et aperçut une silhouette qui s’approchait de lui dans le couloir :

    -C'est qui ?

    -Falibi. Gzadien m'a dit de venir t'aider.

    Elférad sourit :

    -Tant mieux. Tu sais qui il reste ?

    La jeune fille compta sur ses doigts :

    -Eh ben, Bélera m'a trouvé et on a trouvé Lyert. Du coup, on s'est dit que l'on allait faire des équipes de deux, tant qu'à faire. J'ai retrouvé Hiloy, mais elle était déjà avec Laxo. Donc, j'ai rejoint Gzadien qui venait de trouver Rafirin. Alors, me voilà.

    Elle prit un ton dramatique :

    -Dis-moi que tu as besoin de moi. Je n'ai plus de but dans l'existence, sinon.

    Elférad prit un air solennel :

    -Falibi, j'ai besoin de toi.

    Elle rit :

    -Génial ! Tu en es où ?

    Il pointa une nouvelle chambre :

    -Reste à la porte au cas où quelqu'un essaie de s'enfuir.

    L'héritière d'argent acquiesça. Il chercha rapidement la petite pièce avant de se tourner vers elle :

    -Tu vois une planque particulière ?

    -Non, je ne pense pas.

    Ils ressortaient quand la voix des haut-parleurs leur parvint, étouffée, du troisième étage. Ils se figèrent pour tenter d'entendre et Falibi demanda :

    -C'est le décompte, non ?

    Elférad hésita encore, à l'écoute, mais il finit par percevoir l'énonciation régulière des chiffres :

    -Oui, on bouge.

    Il cria :

    -Le décompte ! Tout le monde descend !

    Il entendit une porte s'ouvrir plus loin et Vish apparut, Ze derrière elle. Elférad leur fit signe de les suivre :

    -On y va. Il y en a d'autre là-bas ?

    Vish les rejoignit :

    -Non, je ne pense pas.

    Ils se rendirent à l'escalier où ils retrouvèrent les autres. Avant de descendre, Neghttris glissa à Elférad :

    -J'ai gagné.

    Son ami ricana :

    -Par manque de temps ? Je n'appelle pas ça une victoire.

    Falibi retrouva Hiloy et ils allaient descendre quand Hiloy se rendit compte qu'Elférad ne bougeait pas :

    -Tu ne viens pas ?

    -J'attends que tout le monde soit descendu.

    Neghttris passa un bras autour de ses épaules :

    -N'est-ce pas que c'est un bon petit papa, ça.

    Elférad fit mine de lui envoyer un coup de poing dans l'estomac. Son ami s'écarta en riant.

    -Dégage.

    -Oui, chef.

    L'héritier d'argent dévala les marches à la suite des autres. Les héritiers restants les imitèrent tout en riant et discutant. Elférad s'assura que personne ne restait derrière et vérifia auprès de Gzadien qui se tenait près de lui :

    -T'as vu tout le monde descendre, on est d'accord ?

    L'adolescent prit un air soupçonneux :

    -A moins qu'un esprit ait pris la forme de l'un d'eux qui est actuellement enfermé dans une des chambres, à se faire torturer.

    Elférad l'observa avec le plus grand sérieux, tandis qu'il ouvrait grand les yeux et la bouche dans une mimique d'horreur. Elférad eut un mince sourire avant de secouer la tête :

    -N'importe quoi.

    Il lui prit la main et le traîna dans les escaliers alors que Gzadien continuait :

    -Non, mais c'est vrai. Si ça se trouve Neghttris n'était pas Neghttris. Tu as parlé à un esprit sans même le savoir. Ce serait l'esprit d'un héritier d'argent revenu hanter son dortoir.

    Les couloirs se vidaient, les portes claquaient. Elférad et Gzadien regagnèrent leur chambre sans prendre le temps de saluer qui que ce soit. La porte se ferma à clé quelques secondes à peine après leur retour.

    -On a eu chaud. Prem's à la douche !

    Gzadien se précipita dans la salle de bain. Elférad haussa un sourcil en le voyant faire :

    -Tu sais qu'on peut aussi la prendre ensemble. T'as vu la taille de cette douche ?

    La salle de bain chez lui devait faire la moitié de celle-là. Il se demandait parfois à quoi ressemblait la salle de bain des héritiers des Cinq. Gzadien passa la tête dans l'embrasure de la porte :

    -Bah, qu'est-ce que tu fais ?

    Elférad releva la tête :

    -Quoi ?

    -T'as dit que tu venais. Je t'attends.

    L'adolescent se prit à rire :

    -Je pensais pas que tu me prendrais au sérieux.

    Gzadien prit un air sévère :

    -C'est celui qui le dit qui le fait, je te signale. C'est pas ma faute si tu ne fais pas attention à ce que tu dis.

    Elférad leva les yeux au ciel :

    -Je viens.

    Gzadien sourit et disparut dans la salle de bain où l'héritier d'or le rejoignit quelques instants plus tard.

     

    Elférad bâilla en refermant son cahier. Il n'avait pas prévu de prendre de l'avance dans ses devoirs, mais Gzadien le tracassait. Plus précisément, le fait qu'il ne lui parlait pas de ses progrès dans l'affaire des lettres. Il s'était changé les idées autant que possible, mais il savait bien qu'il finirait par l'interroger. Hors, Gzadien avait horreur qu'on l'assiège de question. Il finissait toujours par avoir l'impression d'être accusé de quelque chose et se mettait de mauvaise humeur.

    Elférad observa discrètement l'adolescent assis sur le lit, le dos contre le mur :

    -Tu lis quoi ?

    Sans lever les yeux, Gzadien répondit :

    -Je suis pas sûr de le savoir.

    L'héritier d'or n'insista pas. Il hésita un instant avant de se lever et de venir s'asseoir contre lui.

    -T'as raison. C'est plus pratique de lire comme ça.

    L'adolescent ne dit rien, se calant contre son torse tout en réfléchissant à la façon dont il pouvait lancer la discussion. Gzadien passa la tête sur son épaule pour pouvoir continuer de lire. Si je lui pose la question directement, il va juste dire que ça va.

    -De quoi tu veux me parler ?

    Elférad tourna la tête pour apercevoir le profil de Gzadien :

    -A ton avis ?

    Il garda les yeux sur le livre en répondant :

    -Les lettres ?

    Elférad attendit un instant avant de confirmer :

    -Je voulais juste savoir si ça avançait.

    -Ça avance.

    Il continua de le dévisager à la recherche d'un signe qui en dirait plus long. Gzadien jeta son livre, referma bras et jambes sur Elférad et le fit basculer avec lui. Le garçon éclata de rire :

    -Qu'est-ce que tu fous encore ?

    Gzadien ne relâcha pas son étreinte :

    -C'est pour que tu écoutes attentivement.

    Elférad tenta de se dégager :

    -J'écoute très bien sans étouffer, tu sais.

    -Oui, mais c'est important. J'ai écris une lettre à mes parents. J'attends leur réponse. C'est tout ce qu'il y a à dire pour l'instant. Apparemment qui que ce soit qui envoyait les lettres, il n'a pas jugé nécessaire d'en faire d'autres.

    Elférad ajouta :

    -Ou il ignore qu'on les a récupéré.

    -C'est vrai, mais quoiqu'il en soit, pour l'instant j'en suis là.

    Il hésita un peu avant d'oser demander :

    -T'as besoin de mon aide ?

    Gzadien lui embrassa la nuque :

    -Non. Je suis grand et fort.

    Elférad ricana :

    -Si tu le dis.

     

    -Tout le monde s'immobilise pour la fouille ! Tout le monde s'immobilise pour la fouille !

    Elférad leva la tête de son livre de classe pour voir arriver un certain nombre de surveillant. Il se figea au milieu du couloir, comme bon nombre d'autres élèves pris au dépourvu. Un homme vint vers lui :

    -Je peux voir votre sac ?

    Elférad le lui passa et l'homme le transmis à un autre qui le fouilla tandis que le premier demandait :

    -Écartez les bras.

    Il obéit. Après une fouille en bonne et due forme, l'homme demanda :

    -Vous pouvez me montrer votre chambre ?

    Il les mena jusqu'à la porte qu'il ouvrit avant de leur céder le passage. Quand le duo ressortit, ils lui posèrent un autocollant sur son T-shirt :

    -Cela informera les autres surveillants que vous avez déjà subi la fouille.

    Elférad acquiesça et récupéra son sac. Il se fraya un passage entre les héritiers qui subissaient encore la fouille pour se rendre à la salle où devait se dérouler l'activité qu'il avait choisi. Le combat au couteau n'avait intéressé aucun de ses amis. Lyert avait sauté sur le club de danse, Neghttris s'était penché sur la course, Matior avait opté pour un club de lecture et Gzadien avait voulu tenter l'escalade. Elférad traversa les cours et pelouses pour atteindre les bâtiments de classe. Des panneaux avaient été installés pour guider les élèves vers les différentes activités du jour. L'adolescent avait déjà repéré sa salle durant la journée et se rendit dans une pièce réaménagée pour l'occasion. Les tables et les chaises avaient été empilées au fond de la classe et des tapis recouvraient maintenant le sol.

    Elférad rangea son livre et posa son sac sur le tas déjà formé dans un coin. Il s'assit auprès des élèves déjà présents et patienta en tentant de deviner qui était héritier d'or, qui d'argent. Les uniformes n'étaient pas spécialement interdit pour les clubs, mais beaucoup préféraient une tenue plus confortable dès la fin des cours.

    -Arrête de jouer avec ça.

    Elférad porta son regard sur un adolescent aux cheveux indigo et argent dont la moitié droite du visage était dissimulée par un masque finement travaillé. Sans prêter attention à celle qui lui avait parlé, le garçon continuait de faire tourner un stylo entre ses doigts. Elférad eut un sourire. Or, sans le moindre doute. Il nota que l’indigo de ses cheveux formait un étrange motif qu'il n'aurait su nommer avec certitude.

    Il classa la fille exaspérée dans le rang « or » à cause de sa façon de parler. Comme si personne ne pouvait remettre en doute ses mots. Le jeune homme passa son regard sur une fille agenouillée qui se tenait bien droite et hésita. Certains héritiers d'argent recevaient une éducation particulièrement stricte avant d'entrer à l'école des héritiers, afin qu'ils donnent une bonne image de leur clan. Le problème c'est que ça marche aussi pour certains héritiers d'or. L'adolescent se concentra en essayant de trouver des indices quand il entendit la porte s'ouvrir. Il vit apparaître Citseko.

    Une vague de soulagement le saisit en réalisant qu'il ne serait pas tout seul finalement. L'héritier d'or leva le bras pour attirer son attention :

    -Citseko !

    Le garçon sourit à demi en s'inclinant et alla poser son sac. Elférad ne se souvenait pas de la dernière fois que ses amis l'avaient salué en s'inclinant. Je ne suis même pas sûr qu'ils l'aient jamais fait. Il se demanda si Citseko saluait toujours Meb de cette façon. L'adolescent se souvenait qu'ils les avaient vu tous deux dans les fêtes organisées régulièrement par les différents clans afin d'atténuer les tensions, de trouver des alliances, présenter les héritiers. C'était d'ailleurs la seule règle impérative. Toutes les familles, grandes ou communes, devaient amener son héritier. Lors de ces fêtes, Elférad avait été choqué de voir Citseko assis dans un coin, regardant Meb jouer avec les autres. En fait, Meb ne jouait qu'avec des héritiers de grandes familles. Il ne l'avait jamais vu jouer avec un héritier du commun et jamais il n'avait invité Citseko à jouer avec eux. Elférad avait plusieurs fois été tenté d'aller parler au garçon, de le faire venir dans son groupe, mais il se doutait que cela n'aurait pas été au goût de Meb. Après tout, lui-même aurait été furieux si un autre héritier d'or s'était permis ce genre de liberté avec ses amis.

    Quoiqu'il en soit, il n'avait pas été surpris de voir Citseko porter l'argent cette année. Il avait clairement été éduqué à l'ancienne. L'héritier d'argent marche deux pas derrière l'or. L'héritier d'argent donne sa vie pour l'or. Ce genre de connerie. Comme pour confirmer sa pensée, Citseko s'assit légèrement en arrière de la ligne formée par les autres personnes présentes. Elférad avait déjà noté qu'au réfectoire, il s’asseyait de même, sa chaise légèrement en écart de Meb et ses amis. L'adolescent poussa sur ses jambes pour se reculer à hauteur de Citseko. Celui-ci sembla un instant perdu, ne pouvant s'écarter plus à moins d'escalader les sacs derrière lui.

    -Meb est pas là ?

    L'héritier d'argent secoua la tête :

    -Non.

    Elférad sourit en demandant l'air de rien :

    -Il fait quoi ?

    -Autre chose.

    Le garçon soupira. Si seulement Matior pouvait tenir sa langue comme ça.

    -Hey ! Elférad, Citseko ! C'est cool que vous soyez là.

    Elférad leva la tête et salua Qegh :

    -Qu'est-ce qui est arrivé à tes cheveux ?

    La jeune fille passa une main dans ses cheveux courts :

    -Une pluie de chewing-gum.

    Elférad prit un air sérieux :

    -Phénomène des plus rares.

    Elle acquiesça imitant son air :

    -C'est vrai. J'y ai pas cru de suite.

    Elle s'assit près de Citseko :

    -Du coup, j'ai dû tout couper. J'en avais partout.

    Elférad compatit :

    -Ça ne pardonne pas, c'est sûr.

    Quelques jours plus tôt, alors que les garçons se dirigeaient vers les escaliers, Qegh avait brusquement surgit du haut des marches, un seau d'eau en main qu'elle vida sur Lyert avant de partir en courant. Les chewing-gums avaient été la revanche du garçon. Elférad reprit :

    -En tout cas, bien visé. Mis à part Lyert, on a pas été trop mouillés.

    Qegh rougit :

    -Je t'avoue que c'était un peu au pif. Une chance qu'il ait été devant.

    Elle jeta un regard alentours :

    -Mais, t'es tout seul aujourd'hui ?

    Il eut un sourire entendu :

    -Oui, Lyert ne veut se consacrer qu'à la danse, comme tu t'en doutes.

    Elle rougit encore plus :

    -Je ne demandais pas spécialement pour lui.

    Le sourire de l'adolescent s'élargit.

    -Elférad ?

    Eh ben, décidément. Et moi qui avait peur de me retrouver tout seul. Il fit signe au garçon qui venait de l'appeler :

    -Floï, ça faisait longtemps.

    Le nouvel arrivant les rejoignit.

    -Citseko, Qegh, voici Floï, un ami d'école.

    Citseko s'inclina, Qegh fit un signe de la main, alors que Floï se penchait vers Elférad :

    -Je suis désolé pour hier.

    Le garçon ne comprenait pas :

    -Hier ? Il y a eut quoi hier ?

    Ce fut au tour de Floï d'être surpris :

    -Matior t'a pas dit ?

    Elférad secoua la tête commençant à s'inquiéter. Si c'était grave, il t'en aurait parlé. Floï expliquait déjà :

    -Je voulais passer te voir, hier, vu que ça faisait un moment qu'on s'est pas vu. Du coup, j'ai traîné dans les dortoirs au hasard et j'ai croisé Matior.

    Elférad fronça les sourcils :

    -Et alors ?

    Floï soupira :

    -J'étais avec Pihiliié.

    -Oh.

    Comment cette histoire avait commencé ? Il s'en souvenait nettement. Il avait neuf ans et Matior venait lui annoncer, au beau milieu de la cour d'école, qu'il allait faire un duel. Elférad n'avait pas vraiment apprécié la plaisanterie, son ami l'avait vite détrompé. Il ne plaisantait pas, il ferait un duel parce qu'un garçon lui avait cassé un de ses crayons préférés. Un héritier du commun ne pouvant faire des duels à sa guise, il fallait que les deux héritiers des grandes familles de leurs clans se rencontrent. Elférad avait voulu raisonner son ami, terrifié à l'idée qu'il ne se fasse tuer, mais Matior n'avait pas démordu. Il voulait son duel. L'angoisse avait étouffé Elférad. Que se passerait-il si cela se passait mal avec l'autre héritier ? Si cela se trouvait, il avait l'habitude des duels, lui. Matior avait donc mené un Elférad tremblant et au bord des larmes, auprès d'un autre garçon qui ne se portait pas mieux. C'était Floï, héritier d'or de Pihiliié. Matior lui pointa ce dernier comme étant le coupable. En l'apercevant, Elférad avait réalisé que ce n'était qu'un petit garçon comme lui. Pas plus fort, pas plus grand et certainement pas plus assuré. Quand il comprit cela, que Floï avait autant la trouille que lui, il avait pris les devants :

    -Matior dit que ton ami a cassé son crayon.

    Floï avait répliqué en jetant un regard au garçon à ses côtés :

    -Heu, lui, il dit que c'est pas vrai.

    Qu'étaient-ils censés faire ensuite ? Ni l'un, ni l'autre n'avait la moindre idée. Il était clair que ni Matior, ni Pihiliié ne bougeraient de leurs positions. Ils avaient dû se résoudre à les laisser se battre. Le duel fut comme on pouvait se l'imaginer entre deux garçons de neuf ans. Elférad et Floï étaient restés à proximité, mais l'angoisse les quitta au fur et à mesure que le duel touchait à sa fin. Matior et son adversaire se retrouvèrent par terre, épuisés. Incapable de désigner un vainqueur, ils avaient tous les quatre convenus que le match était nul. Seulement, dès lors, chaque fois que Matior et Pihiliié se croisaient, ils ne pouvaient se retenir et se lançaient dans un duel.

    Elférad revint au présent :

    -C'est quand ?

    Floï leva les yeux vers l'horloge accrochée au mur :

    -Dans deux heures.

    -Bon, on a le temps.

    Il soupira :

    -Tout ça pour un foutu crayon, je te jure.

    Floï pinça les lèvres :

    -On aurait pu croire qu'en entrant dans cette école, ils auraient fait un effort de maturité.

    Ils soupirèrent en chœur, le regard dans le vague. Quand la porte s'ouvrit cette fois, ce fut pour laisser place à une grande fille portant le brassard rouge des troisièmes années sur sa chemise.

    -Bonjour à tous. Désolée du retard, la fouille bat son plein en ce moment.

    Un concert de grognement compatissant accueillit son excuse. La jeune fille se présenta, expliqua comment l'activité se déroulerait. Ils commencèrent à s’entraîner facilement, mais quand approcha la fin de l'heure, la troisième année annonça :

    -Elférad, Loulina et Higo, vous resterez pour m'aider à remettre la salle en ordre.

    L'héritier d'or jeta un coup d’œil à l'heure et grimaça :

    -Excusez-moi, mais j'ai un truc urgent à faire après.

    La jeune fille déclara simplement :

    -Tu peux partir si quelqu'un accepte de prendre ta place.

    L'adolescent ne fut même pas étonné de voir Citseko se proposer sans hésitation.

    -Merci, je te revaudrais ça.

    Citseko eut un demi-sourire :

    -Pas la peine.

    Elférad insista :

    -Si, si. Si t'as besoin que je fasse ta corvée un de ces soirs, n'hésite pas à me demander.

    Tout en disant cela, il pensa qu'il ne s'engageait pas à grand chose. Citseko n'oserait jamais demander quoique ce soit à un héritier d'or. Pour l'instant, il était ravi de pouvoir accompagner Floï, une fois l'activité terminée.

    -Tu sais où ils ont prévu de se rencontrer ?

    Floï marchait à grand pas :

    -Dans la cour intérieure du dortoir.

    Ils traversèrent rapidement l'espace qui séparait les bâtiments. Matior et Pihiliié étaient déjà sur place. Elférad cria en les voyant :

    -Vous n'avez pas commencé ou c'est déjà fini ?

    Matior eut un rire forcé :

    -On fait les choses bien, nous, monsieur. On attend l'équipe dorée, nous, monsieur.

    Pihiliié hocha vigoureusement la tête pour approuver ces paroles. Quand ils furent tous réunis, Floï énonça de la voix de celui qui se lasse de répéter la même chose :

    -Alors, les règles. Le premier K.O a perdu. Celui qui reste plus de cinq secondes au sol a perdu. Amusez-vous.

    Difficile de s'imaginer qu'il fut si pétrifié la première fois qu'il a dû faire un discours de ce genre. Ils allèrent s’asseoir, tandis que les deux héritiers d'argent commençaient à se taper dessus. Enfin, c'était beaucoup dire. Depuis le temps, ces petits duels tenaient plus de l'exercice. Elférad et Floï rattrapèrent le temps perdu pendant que les deux autres s'épuisaient. A la fin, comme bien souvent, les deux s'effondrèrent pour ne pas se relever. Elférad se leva, épousseta son pantalon en déclarant :

    -Bon, je le ramène à sa chambre. Faudrait qu'on essaie de se voir plus souvent. Tu ne traîne pas dans la salle commune ?

    Tout en parlant, il releva Matior et passa son bras autour de son cou pour le soutenir. Floï fit de même avec Pihiliié :

    -Non, y a toujours trop de monde et ceux de ma classe sont chiants.

    Elférad demanda alors :

    -C'est quoi le numéro de ta chambre ?

    -Trois-cent-six.

    -Je viendrais te voir un de ces quatre. Je sais pas trop quand, je t'avoue, mais j'essaierais.

    Floï acquiesça :

    -Ça marche.

    Ils se saluèrent et partirent chacun de leur côté.

    -Matior, je te le dis de suite, les escaliers, ça va pas être possible si tu n'y mets pas du tien.

    Il n'eut pas de réponse, mais n'en attendait pas spécialement. L'héritier d'argent était à moitié sonné et complètement épuisé. Elférad n'en soupira pas moins en arrivant aux escaliers.

    -Vous pourriez pas vous départager en jouant aux cartes, franchement ? Ça serait moins fatiguant pour nous.

    Il commença à gravir les marches, s'appuyant contre la rambarde pour éviter d'être renverser par le poids de son ami.

    -Tu me diras, au moins, je fais de l’exercice. Non, c'est vrai, après avoir passé un moment à m'amuser avec des couteaux factices, pourquoi pas monter des marches avec un poids mort. Ça c'est toi, si tu avais des doutes.

    Il râla encore un moment avant de demander à la ronde :

    -Si quelqu'un veut m'aider, ne vous gênez pas. C'est gratuit.

    C'est peut-être ça le problème. A ce moment, le poids de Matior sembla s'alléger. Elférad soupira de soulagement :

    -Ouf, merci.

    Il se pencha pour voir qui l'aidait à soutenir son ami et fut surpris de voir Tahiya.

    -Ah bah, ça. Je ne m'attendais pas à ce que tu te portes volontaire.

    La jeune fille lui lança un regard glacé :

    -Je peux repartir, si tu veux.

    Elférad se rattrapa bien vite :

    -Non, non, merci, merci, merci.

    Elle parut satisfaite et continua d'aider. Elférad aperçut Nsoah, à côté d'elle. Si la peau de Tahiya était d'un noir d'ébène, celle de Nsoah était un soupçon plus claire. Ses yeux pourpres semblaient constamment attirés par le plafond.

    Ils atteignirent le second étage avec moins de difficulté car Matior commençait à se ressaisir.

    -Elle est où ta clé ?

    Son ami s'accrocha à son épaule afin de garder sa stabilité pour sortir la clé de sa poche de poitrine. Quand la porte fut ouverte, Tahiya l'accompagna pour s'assurer que Matior atteindrait son lit sans problème. Elférad tourna ses bras pour se soulager en disant :

    -Merci. Tu peux y aller si tu veux.

    Nsoah, les yeux accrochés à la lampe du plafond, fit remarquer :

    -Il faut l'emmener à l’hôpital. Pourquoi il est là ? Ce n'est pas l’hôpital.

    Tahiya se tourna vers Elférad :

    -C'est vrai. Ça aurait peut-être été plus prudent.

    L'adolescent secoua la tête en riant :

    -Non, il feinte plus qu'autre chose. Il aime bien qu'on s'occupe de lui.

    Elle haussa un sourcil avec une expression peu convaincue :

    -Qu’est-ce qui l'a mis dans cet état ?

    Elférad continua de sourire :

    -Un duel amical. Pas de quoi s'inquiéter.

    Matior grommela d'un ton plaintif :

    -Quelle feinte ? Je souffre tellement.

    Son ami ne fut pas ému :

    -Tu l'as cherché aussi. Franchement, depuis le temps, t'en a eu des tas des crayons.

    Tahiya ne put s'empêcher de demander :

    -Des crayons ?

    Matior se redressa pour parler à Elférad :

    -Ce n'est pas le propos. Il ne s'est jamais excusé de l'avoir cassé, je te signale.

    La jeune fille n'en croyait pas ses oreilles :

    -Cassé ? Le crayon ?

    Elférad confirma :

    -Oui, on était petit.

    -Il vient de se battre en duel pour un crayon ?

    Elférad et Matior échangèrent un regard, avant que le second ne lâche :

    -Évidemment, dis comme ça.

    Son ami le coupa pour dire d'un ton condescendant :

    -Non, Matior, peu importe comment tu le dis, ce sera toujours ridicule.

    Tahiya croisa les bras, amusée :

    -J'espère qu'il était hors de prix ce crayon.

    Elférad prit un air désespéré :

    -Même pas.

    Matior s'insurgea :

    -C'est pas la question. C'était mon crayon, un point c'est tout.

    Nsoah, dont le regard se perdait maintenant vers le haut de la commode, fit remarquer :

    -Il va mieux.

    Elférad sourit :

    -Je vous l'avais dit.

    Matior se laissa retomber sur son coussin. La porte s'ouvrit à cet instant et Lyert apparut. Il s'arrêta net en voyant le monde dans sa chambre :

    -Je me suis trompé ou... ?

    Elférad secoua la tête :

    -Non, on a ramené Matior qui a rencontré Pihiliié.

    -Ah, c'est vrai que le duel était ce soir. Alors ? Encore ex æquo ?

    L'héritier d'or acquiesça :

    -Yep. Tu peux me dire pourquoi vous ne l'avez pas dit qu'ils se battraient aujourd'hui ?

    Lyert jeta un regard à Tahiya et son cousin qui comprirent le message. La jeune fille poussa Nsoah dehors :

    -Bon, on vous laisse. Faut qu'on aille faire nos devoirs.

    L'héritière d'or referma la porte derrière elle et Lyert reprit :

    -On s'est juste dit qu'avec cette histoire de lettre, tu avais autre chose à faire que de t'occuper des amusements de Matior.

    Celui-ci se redressa à nouveau :

    -Je ne m'amuse pas je vous signale.

    Elférad l'ignora pour faire remarquer à Lyert :

    -Gzadien s'en occupe tout seul, tu sais. Donc, je vois pas en quoi ça dérange.

    Lyert insista :

    -Ouais, mais il n'y a pas besoin que vous soyez deux pour assister au duel. Je veux dire, on connaît Floï, il tricherait pas. Et même si tu ne t'occupe pas de cette histoire de lettre, tu vas pas nous faire croire que ça ne te tracasse plus.

    Elférad n'eut rien à ajouter à cela, mais conclut néanmoins :

    -C'est sympa les gars, mais je préfère être au courant de tout ce qu'il se passe.

    Matior ouvrit les yeux :

    -Nos vies te passionnent, hein.

    Elférad répliqua avec emphase :

    -Elles sont passionnantes. Mais, sérieusement...

    Il eut droit à des hochements de tête en réponse.

    -Bon, je vous laisse.

    Il se dirigeait vers la sortie quand il s'arrêta :

    -Au fait, Lyert. Il y a Qegh dans mon club.

    L'interpellé se contenta de hausser les épaules :

    -Et alors ?

    -Rien, je dis ça juste au cas où tu es envie de varier tes activités. Il est encore temps, tu sais.

    Son ami prit l'air de celui qui ne comprenait pas :

    -Je vois pas en quoi ça peut m'intéresser.

    Elférad leur fit un signe de la main en sortant :

    -Bien sûr que non, suis-je bête. A plus, les gars.

    Gzadien n'était pas encore rentré lorsqu'il regagna sa chambre. Il prit sa douche en se félicitant d'avoir prit de l'avance dans ses devoirs. Ce soir, je suis tranquille. Le jeune homme se glissa directement au lit en sortant de la salle de bain et s'endormit avant d'avoir pu terminer une page de son livre.

     

    Elférad jouait aux cartes avec ses amis quand le professeur entra dans la classe. D'autorité, l'adolescent ramassa les cartes pour les ranger et se retourna sur son siège pour faire face au tableau. Il entendit Matior grommeler :

    -J'allais gagner.

    Neghttris eut un ricanement moqueur :

    -Le rêve et la réalité, une fine limite.

    Comme à son habitude, l'enseignant tapa le bureau de sa règle pour amener le silence et commença en souriant :

    -J'ai une grande nouvelle.

    Il s'assura que toute l'attention lui était consacrée avant de continuer :

    -Les secondes années estiment qu'ils en ont assez. Le jeu des souhaits est officiellement terminé.

    Il y eut une explosion de joie et d'applaudissement dans la salle, bien qu'Elférad ne se souvenait pas de la dernière fois qu'un seconde année lui avait demandé quelque chose. Il avait le sentiment que ce jeu était terminé depuis un moment. Le cour reprit normalement après cette annonce. A la fin de la journée, ils se retrouvèrent tous les quatre, dans le parc de l'école à discuter autour d'un banc. Elférad rappela à Neghttris ce qu'il avait dit hier aux deux autres, qu'il voulait être tenu au courant du moindre événement, même insignifiant.

    A cet instant, l'héritier d'or angoissé qui avait été chargé de livrer les lettres au jeune couple s'approcha d'eux. Matior prévint en le voyant arriver :

    -Elférad, y a quelqu'un qui vient et ça va pas te faire plaisir.

    L'adolescent se retourna pour apercevoir le nouvel arrivant. Celui-ci lança quand il fut à portée de voix :

    -Hey, Elférad. Tes parents sont au courant que tu es avec l'héritier de la famille Thoun ?

    Tout le corps du garçon se crispa d'un coup. Du coin de l’œil, il vit que Matior, Lyert et Neghttris avaient quitté le banc d'un bond, près à agir au moindre signal. L'autre continuait :

    -La famille Thoun, elle était bien dans ton clan avant. Elle a été chassée, c'est bien ça ?

    Elférad sentit son cœur s'emballer. Il claqua des doigts. Dans la seconde, ses trois amis se jetaient sur le garçon et l'immobilisaient au sol. Neghttris appuyait son pied sur la poitrine de l'adolescent, tandis que Lyert et Matior lui maintenaient les bras. Elférad les rejoignit, prenant sur lui pour ne pas se laisser aller à la colère :

    -Comment tu sais ça ? Qu'est-ce qu'on t'a dit sur la famille Thoun ?

    L'interrogé semblait complètement perdu et son regard passa de Neghttris à Elférad sans pouvoir articuler le moindre mot. Neghttris fit passer son poids sur la poitrine du garçon :

    -Réponds aux questions. Grouille-toi.

    Les larmes aux yeux, l'héritier d'or ne put que laisser échapper des gargouillis inarticulés. Elférad se pencha au-dessus de lui :

    -Tu sais quelque chose sur Trinitores ?

    Le poids de Neghttris devint insupportable et le garçon éclata en sanglot en disant :

    -Non, non, je sais rien. On m'a dit de te dire ça. Je sais rien.

    Elférad se redressa, mais Lyert lança :

    -Il est en train de feindre. Il ment.

    Son ami secoua la tête en repensant au premier entretien qu'il avait déjà eu avec le garçon :

    -Je ne pense pas.

    Il posa la main sur l'épaule de Neghttris :

    -Relâchez-le.

    Ils obéirent et pendant que le garçon se redressait en tremblant de tout ses membres, Elférad s'accroupit face à lui :

    -Faut vraiment que t'arrête de te mettre dans des situations pareilles.

    Son interlocuteur renifla en s'essuyant les yeux et bégaya :

    -Si... je ne le fais...pas...Il peut me tuer... je pensais pas que... c'était quelque chose de grave...

    Elférad retint une grimace à le voir essuyer sa morve avec sa manche et demanda à ses amis :

    -Vous avez pas un mouchoir ?

    Lyert et Matior allèrent fouiller leur sac. Neghttris s'accroupit également devant le garçon et Elférad n'avait pas besoin de le regarder pour savoir qu'il était furieux. Ce fut avec un calme contrôlé que Neghttris dit :

    -Écoute, mon gars. Pourquoi on t'aurait demandé de faire passer un message inoffensif ? Tu devrais le savoir après ce que tu as fais avec les lettres. Réfléchis un peu, bon sang.

    Lyert tendit un mouchoir que Dorase saisit d'une main tremblante. Elférad reprit l'interrogatoire :

    -C'était encore une lettre ? Il t'a écrit ce que tu devais dire ?

    Un hochement de tête pour réponse.

    -Elle est où cette lettre ?

    L'adolescent se moucha avant de répondre :

    -Il était écrit que je devais la détruire. Je l'ai brûlé.

    Lyert répéta :

    -Il ment, si ça se trouve.

    Elférad approuva :

    -Lyert, tu vas l'accompagner dans sa chambre. Tu fouilles de fond en comble. Si la lettre est encore là, tu me la rapportes.

    Son ami saisit le bras de l'héritier d'or qui commençait à peine à se ressaisir :

    -Allez, debout.

    L'autre ne chercha même pas à protester et suivit Lyert sans résister. Quand ils furent rentrés dans le bâtiment, Neghttris fit face à Elférad :

    -Personne n'est au courant de ce qu'il s'est passé entre la famille Thoun et notre clan. Comment... ?

    Matior coupa pour préciser :

    -Personne, sauf la famille Thoun et les membres de notre clan. Je veux dire, même nous qui étions trop petits à l'époque, on est au courant.

    Elférad commençait à s'impatienter :

    -Alors quoi ? On reprend depuis le début pour inclure des gens de l'extérieur dans la liste des suspects ?

    Par habitude, il se tourna vers Neghttris, mais pour une fois, celui-ci ne trouva rien à dire. Si ce n'est pas quelqu'un de l'extérieur, c'est que l'un de nous à trop parlé. Il ne put s'empêcher de jeter un regard vers Matior, avant de se détourner en espérant que son ami ne l'aurait pas remarqué. Neghttris fut beaucoup moins délicat :

    -T'aurais pas encore parlé à tort et à travers, Matior ?

    Choqué que l'on puisse le soupçonner, celui-ci se rebiffa :

    -Non, bien sûr que non. Je sais tenir ma langue quand il faut quand même.

    Neghttris montra par son expression qu'il n'en croyait pas un mot. Matior se tourna vers Elférad :

    -Je te jure. J'ai rien dit sur cette histoire. Pourquoi j'en parlerais ?

    Elférad fut tenter de le croire et pour apaiser Neghttris, il annonça :

    -On n'a pas assez d'info pour conclure quoique ce soit, il vaut mieux...

    Neghttris le coupa :

    -On a déjà conclu que cela ne venait pas de l'extérieur parce qu'il y avait le numéro de votre chambre sur l'enveloppe. Hors, qui à part nous sait ce qu'il s'est passé entre la famille de Gzadien et notre clan ?

    Matior s'empressa de répéter en élevant le ton :

    -J'ai rien dit. Je jure, j'ai rien dit.

    Neghttris fit un pas vers Matior, exaspéré :

    -Et qui ça pourrait être ? Tu passes ton temps à raconter toute notre vie à de parfaits inconnus. Si ça se trouve, tu ne t'en rappelles même plus...

    -Neghttris, ça suffit !

    Il se tut aussitôt à l'ordre d'Elférad. Celui-ci s’exhortait au calme avec de plus en plus de difficulté, mais il savait que cela finirait mal s'il se laissait emporter :

    -Ça ne sert à rien de nous battre. Matior dit qu'il n'a rien dit, il n'a rien dit, point. Il reste Lyert, toi et moi.

    Neghttris ajouta à voix basse :

    -Et Gzadien.

    Loin de se laisser démonter par cet ajout, Elférad reprit :

    -Et Gzadien. Mais pourquoi on s'enverrait des lettres à nous-même ?

    Matior tenta d'une petite voix :

    -Parce que t'as pas d'ami qui t’écrive et que ça te brise le cœur.

    Il leva discrètement les yeux pour vérifier l'effet de sa remarque et fut soulagé de voir que Neghttris laissait échapper un sourire. Elférad rit doucement :

    -Sérieusement.

    Il y eut un silence. Au bout de plusieurs minutes, comme il semblait que personne n'avait de théorie à proposer, Elférad proposa :

    -On va manger ? On réfléchira plus tard.

    Ses amis accueillirent la proposition avec soulagement et ils se rendirent au réfectoire. Lyert finit par les retrouver quelques instants plus tard et leur apprit qu'il n'avait rien trouvé. Elférad n'était pas vraiment étonné.

    -Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

    Il répondit à Lyert en disant :

    -Vous rien. Moi, je vais interroger Gzadien.

    Ils le regardèrent comme s'ils s'attendaient à ce qu'il dise qu'il s’agissait d'une plaisanterie, mais il n'en fit rien. Alors, Neghttris lâcha :

    -Il va être furax.

    Elférad n'en doutait pas un instant, mais il n'avait pas tellement le choix. Si je lui demande gentiment...

    -Il mange pas avec nous, au fait ?

    Matior se tournait pour tenter d'apercevoir Gzadien, mais il restait invisible. Elférad haussa les épaules :

    -Apparemment non.

    Neghttris glissa :

    -Ça fait deux jours au moins, qu'il ne mange plus avec nous.

    Elférad saisissait bien le sous-entendu, mais l'ignora en répondant :

    -Il s'est peut-être trouvé de nouveaux amis.

    Lyert prit un air dégoûté :

    -On est parfait, qu'est-ce qu'il lui faut de plus ?

    Matior rit, mais Neghttris observait Elférad avec inquiétude. Celui-ci finit par se lever :

    -Bon, j'y vais. On se voit demain.

    Il quitta la pièce sans un regard en arrière, réfléchissant à la façon dont il pourrait lancer la discussion avec Gzadien. Quand il arriva dans leur chambre, ce fut pour la trouver de nouveau vide. Il ne s'inquiéta pas pour autant et fit ses devoirs pour patienter jusqu'à l'arrivée de l'héritier d'argent. Celui-ci revint à peine quelques temps avant le début du décompte.

    -Eh bah, t'étais où ?

    Gzadien ouvrit les bras d'un air joyeux :

    -Je t'ai manqué ?

    Elférad se mit à rire :

    -J'ai survécu.

    Il observa l'adolescent qui s'installait à son bureau en continuant de se demander comment lancer la discussion. Finalement, il opta pour la simplicité :

    -Tu te souviens de l'héritier d'or qui nous envoyait les lettres ? Celui qui était complètement flippé.

    Gzadien réfléchit un instant :

    -Celui de la chambre d'à côté ? Oui, pourquoi ?

    -Il nous est tombé dessus tout à l'heure. Il a fait allusion à ce qui est arrivé à Trinitores.

    Même en ne voyant que son dos, Elférad sentit qu'il se crispait. Il se tourna vers son ami avec lenteur :

    -Trinitores ?

    Elférad acquiesça :

    -Il ne savait pas grand chose. Une lettre lui est parvenue pour lui demander de nous dire deux trois phrases et voilà. Ce crétin ne s'est pas posé de questions. Il n'avait pas la moindre idée du sens de ce qu'il racontait.

    Il avait à présent, toute l'attention de Gzadien :

    -Elle est où cette lettre ?

    -Il a dit l'avoir détruite, mais j'ai quand même envoyé Lyert vérifier. Il a rien trouvé.

    L'adolescent le dévisagea en attendant la suite.

    -Comme Neghttris l'a fait remarqué, la personne qui envoie les lettres ne peut être qu'un élève. Hors, parmi les élèves, seuls cinq connaissent cette histoire. Matior a juré qu'il n'avait rien dit et je le crois. Il reste Neghttris, Lyert, toi et moi.

    Gzadien garda le silence, toujours en le dévisageant, alors Elférad s'empressa d'ajouter :

    -Je te fais confiance, autant qu'à eux.

    Le jeune homme poussa de son pied sur le bord de son bureau pour propulser son siège à roulette jusqu'à Elférad :

    -Je sais.

    -...Mais, j'ai trop de question.

    Gzadien s'installa correctement sur son siège pour lui faire face :

    -Je comprends. Vas-y.

    Elférad procéda dans l'ordre :

    -Comment tu as pu devenir un héritier d'argent ?

    Gzadien battit des paupières :

    -Je pensais que tu me parlerais de mes progrès sur les lettres, mais soit. Je ne sais rien de sûr, mais je pense que mes parents ont payé une petite fortune.

    Elférad fronça les sourcils :

    -Payé ? Le directeur ?

    -Non, la grande famille de notre clan. Ils n'ont pas d'héritier, alors ils se sont laissés convaincre assez facilement.

    Elférad restait perplexe :

    -Se laisser convaincre ? Avec le passé de ta famille ?

    Gzadien sourit :

    -Oui, hein ? C'est un clan pas très important et pas très riche. Ils étaient à deux doigts de s'écrouler, d'être dissous. Puis, mes parents sont arrivés, avec leur argent. Beaucoup d'argent. Alors, disons que tout le monde était gagnant en m'envoyant ici.

    Elférad hocha la tête :

    -OK, mais, du coup, quelqu'un de ce clan a-t-il été mis au courant de ce qu'il s'est passé ? Le chef ?

    Gzadien répondit par la négative :

    -Mes parents restent discrets. Ils ne tiennent pas non plus à ce que ça s'ébruite.

    Avant qu'Elférad ne le demande, Gzadien ajouta :

    -Pour les lettres, je ne peux pas dire que je progresse encore. J'ai quelques difficultés à trouver certaines infos.

    A nouveau, avant qu'Elférad puisse réagir, il dit :

    -Mais, je n'ai pas besoin de ton aide.

    Elférad sentit que même si cela avait été le cas, il ne lui aurait rien demandé. Cependant, il avait une dernière question :

    -Tu penses toujours que ce n'est lié qu'à ta famille ? Si c'était le cas, je ne pense pas que ma famille aurait été incluse dans le message que l'autre nous a transmis tout à l'heure.

    Gzadien resta un instant silencieux.

    -Elf, je me débrouille.

    Le ton incisif dissuada Elférad de continuer. De toute façon, j'ai posé les questions les plus importantes. Malgré tout, il glissa l'air de rien :

    -Comme aucun de nous cinq n'a raconté ce qu'il s'était passé, qui peut en avoir connaissance à par nous ?

    Gzadien retrouva son sourire :

    -Ça, c'est une bonne question.

    Il poussa du pied sur le sol pour retourner à son bureau. Discussion terminée, donc. Elférad soupira et alla à la douche.

    Quand il se réveilla au cours de la nuit, il se découvrit seul dans le lit. L'adolescent se redressa pour s'assurer que Gzadien se trouvait dans l'autre lit, avant de se laisser retomber, de s'emmitoufler dans les couvertures et se rendormir. L'héritier d'argent devait être de mauvaise humeur suite à leur discussion. Il était du genre à montrer son mécontentement par des actes plus que par des paroles. Elférad ne s'en inquiéta pas.

     

    Attablé devant son petit-déjeuner, Elférad, la joue au creux de sa main, tentait de garder les yeux ouverts en fixant son bol.

    -Ça s'est passé comment ?

    Il se redressa pour répondre à Lyert :

    -Bof, pas super.

    Matior répliqua avec ironie :

    -Tu t'attendais à mieux ?

    Son ami retourna contempler son bol. Ce fut Neghttris qui rompit de nouveau le silence pour demander :

    -Il est où, là ?

    Elférad haussa les épaules :

    -Je sais pas. Je crois qu'il boude.

    -T'as quand même le droit de savoir où il en est. Il t'a dit quoi ?

    L'adolescent quitta son bol pour poser son regard sur Neghttris :

    -Rien. Qu'il galère un peu, mais qu'il n'a pas besoin d'aide.

    En vérité, Elférad se demandait si la mauvaise humeur de Gzadien tenait du fait de leur discussion ou s'il était vexé de ne pas pouvoir avancer tout seul.

    -Bon, ça suffit.

    Elférad se secoua, ébouriffa ses cheveux châtains et se leva. Ses amis le regardèrent avec des yeux ronds :

    -Bah, qu'est-ce que tu fais ?

    L'héritier d'or répondit avec détermination :

    -Je vais enquêter aussi.

    Les trois garçons se levèrent aussitôt :

    -Attends, on vient.

    Elférad les arrêta d'un geste du bras :

    -Non, non. Je m'en occupe.

    Neghttris lui lança un regard plein reproche en disant :

    -Parce que ça marche si bien pour Gzadien.

    Elférad pinça les lèvres à la recherche d'une parade, mais il finit par lâcher :

    -En route.

    Lyert se mit à la hauteur de son ami :

    -On va où précisément ?

    -Voir le crétin.

    Neghttris était sceptique :

    -Tu crois qu'il peut être utile ? Je ne pense pas qu'il ait quoi que ce soit d'intéressant à nous dire.

    Elférad admit que c'était vrai :

    -Mais c'est le seul point de départ que j'ai.

    Et j'espère juste trouver l'inspiration en cours de route. Ils tombèrent sur l'héritier d'or qui descendait manger. Ils le saisirent au passage et le forcèrent à remonter les marches. Il ne tarda pas à geindre :

    -Mais... qu'est-ce que vous faites ? Vous allez m'assassiner !

    Neghttris était déjà agacé :

    -Ça t'épuise pas la parano, non ?

    Ils le ramenèrent à sa chambre. Lyert récupéra la clé dans sa poche et ils entrèrent. A peine relâché, Dorase alla se réfugier sur son lit. Elférad se demanda en quoi cela pouvait le protéger, mais déduisit qu'il n'y avait pas de raison logique à son comportement.

    -Bon, machin, on reprend. Reparle-moi des lettres, des livraisons, et tout le reste.

    L'héritier tenta d'une voix faible :

    -Je m'appelle...

    Elférad croisa les bras en disant avec autorité :

    -J'ai oublié et je m'en moque. Les lettres, grouille.

    Avec angoisse, l'adolescent répéta ce qu'il avait déjà raconté la première fois qu'il avait rencontré le couple. Comment on lui avait confié les lettres, comment il avait utilisé son héritière d'argent pour les livrer. Au fur et à mesure que son récit progressait, Elférad comprit avec certitude qu'il ne découvrirait rien de nouveau. Quand il se tut, Neghttris demanda :

    -Gzadien est revenu te voir ?

    Ah bah, oui, c'est vrai ça. Après tout, si c'était son point de départ à lui, il y avait des chances pour que Gzadien se soit dit la même chose.

    -Oui, mais ça fait un moment.

    Elférad reprit la parole :

    -Qu'est-ce qu'il t'a demandé ?

    -Pareil, mais j'avais rien de plus à dire, moi.

    Matior tenta :

    -Est-ce que tu sais où il est allé ensuite ?

    Dorase secoua frénétiquement la tête :

    -Je l'ai pas suivi, je vous le jure.

    Ils réfléchirent un instant, puis Lyert insista :

    -Tu es sûr que tu lui as dit les mêmes trucs ? Mots pour mots ?

    -Peut-être pas mot pour mot, mais....

    Neghttris se tourna vers Elférad :

    -Ça sert à rien.

    Yep et j'ai pas plus d'inspiration. Il observa un instant l'héritier recroquevillé sur ses couvertures avec, une nouvelle fois, la certitude qu'il ne leur cachait rien. Elférad quitta la chambre sans rien ajouter. Ses amis s'empressèrent de le rejoindre. Il entrait dans sa chambre quand Neghttris demanda :

    -Tu vas faire quoi maintenant ?

    Elférad se mit à fouiller le bureau de Gzadien :

    -Je vais revoir les lettres.

    Il sortit le tas soigneusement rangé dans l'un des tiroirs et les distribua à ses amis qui commencèrent à lire, assis par terre :

    -Peut-être qu'on va voir d'autres détails depuis le temps qu'on ne les a pas lu.

    Ils lurent encore et encore sans rien noter de nouveau. Au final, Neghttris remit ses lettres dans le tiroir :

    -Ça sert à rien.

    Les trois autres soupirèrent en reposant les feuilles qu'ils étaient en train de lire. Lyert s'étira :

    -Gzadien a bien dû trouver un moyen.

    Elférad rassembla les lettres et les replaça comme il les avait trouvé. Matior proposa :

    -On pourrait aller voir à la poste.

    Neghttris répondit :

    -Je ne pense pas. Même s'il ne semble pas s'inquiéter que l'autre nous raconte ce qu'il sait, c'est qu'il a pris des précautions solides pour qu'on ne le trouve pas si facilement.

    Matior reprit les paroles de Lyert :

    -On revient donc à comment Gzadien a-t-il fait ?

    Elférad qui était resté silencieux, appuyé contre le bureau et plongeait dans ses réflexions, finit par dire :

    -Je sais juste qu'il a écrit à ses parents.

    Neghttris demanda :

    -Tu sais s'ils lui ont répondu ?

    Elférad secoua la tête :

    -Non. Il n'a rien dit.

    Matior se leva :

    -S'ils ont répondu, il a dû mettre la lettre dans son bureau.

    Il approcha, mais Elférad lui bloqua le passage :

    -Non, ça on ne regarde pas.

    Neghttris fronça les sourcils :

    -T'es sûr ? Il peut y avoir des indices. C'est peut-être ça qui l'a débloqué.

    Elférad ne lâcha pas :

    -Lire les lettres qu'on a lu ensemble, OK. Fouillez dans ses affaires privés, non. S'il veut m'en parler, il m'en parlera. En attendant, on fait sans.

    Lyert se leva à son tour :

    -C'est vrai, les gars. Ça se fait pas.

    Neghttris se rendit en disant :

    -OK, mais on fait quoi maintenant ?

    Elférad eut une idée soudaine et alla s'installer à son bureau.

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    Sans répondre à Neghttris, l'adolescent continua d'écrire. Lyert demanda :

    -Tu écris à tes parents ?

    Comme il ne répondait pas, ses amis patientèrent en silence. Quand il eut fini, Elférad relut sa feuille, puis, satisfait, il la plia et la glissa dans sa poche.

    -Qu'est-ce que tu fais ?

    L'héritier d'or fit face à ses amis :

    -Un détail. Aucun de nous n'a reconnu l'écriture, n'est-ce pas ?

    Neghttris acquiesça :

    -C'est vrai, mais on en avait déduit qu'il la dissimulée.

    Lyert éprouva le besoin de rappeler :

    -Ou elle. On parle que de « il », mais c'est peut-être une fille.

    Matior ajouta :

    -Et ils pourraient être plusieurs.

    Elférad quitta son siège en levant les mains :

    -D'accord, d'accord, mais pour l'instant, j'ai une nouvelle théorie. Si l'on n'a pas reconnu l'écriture, c'est sans doute parce que les lettres sont écrites par quelqu'un que l'on ne connaît pas.

    Neghttris haussa un sourcil :

    -Oui, je pense qu'on en est tous arrivé là tout seul.

    Elférad dressa un doigt avec un sourire en coin :

    -Mais... on n'est pas allé jusqu'à s'imaginer que quelqu'un avait été payé pour écrire ces lettres.

    Un silence accueillit cette nouvelle théorie et l'adolescent en profita pour ajouter :

    -Tu as dit toi-même, Neghttris, qu'il devait couvrir ses traces avec beaucoup de précaution. Alors, forcément, il ne se serait pas risqué à écrire ces messages de sa main.

    Le visage de Neghttris s'illumina alors qu'il comprenait où Elférad voulait en venir :

    -Il a engagé quelqu'un.

    Elférad confirma :

    -Il a engagé quelqu'un.

    Il se leva et sortit de sa chambre. Lyert et Matior restèrent interroger Neghttris :

    -Il fait quoi du coup ?

    Sans répondre, Neghttris courut rejoindre son ami :

    -Tu vas à l'arbre aux espions ?

    Elférad posa un doigt sur ses lèvres :

    -Évite de le crier sur les toits.

    Neghttris jeta un regard alentours pour vérifier que personne n'avait entendu et reprit à voix basse :

    -Tu as de quoi engager un espion ?

    Son ami secoua la tête :

    -Non, mais je tente quand même. Qui sait, peut-être que si l'un d'eux s'ennuie...

    Lyert et Matior les avaient rejoins et le premier le soutint :

    -Qui ne tente rien n'a rien de toute façon.

    Matior ajouta :

    -Ouais, et peut-être qu'il te demandera un service en échange. Un truc pas trop dur.

    Neghttris fit la moue :

    -Ça dépends. Qu'est-ce que tu demandes ?

    Elférad se contenta de sourire d'un air mystérieux. A l'extérieur, à l'écart des bâtiments, se trouvait l'arbre aux espions. Un cercle de terre dans une zone de verdure marquait son emplacement. Lorsqu'Elférad tendit la main, il sentit la présence d'un mur invisible à la limite du cercle.

    -Il y a quelqu'un à l'intérieur.

    Il ne pouvait qu'entrer un par un et en l'absence de témoin. Aussi, il se tourna vers ses amis :

    -Bon, c'est ici qu'on se sépare.

    Neghttris lui posa une main sur l'épaule :

    -OK, tu viendras nous raconter, hein ?

    -Évidemment.

    Ses trois amis s'éloignèrent en lui faisant des signes de la main. Elférad refit face au mur invisible et posa la main dessus en attendant le moment où il pourrait s'y enfoncer. Il dut attendre une minute avant de pouvoir entrer.

    De l'autre côté, une parcelle de métal sortit de terre, le menant droit à un chêne solitaire. L'héritier d'or s'y dirigea en prenant soin de rester sur le chemin. Une fois proche de l'arbre, une cachette s'ouvrit dans le tronc à son attention. Il y glissa son mot et une plaque de métal vint boucher le trou. Seul un espion saurait comment l'ouvrir désormais. Elférad resta un instant pour voir s'il se passerait quelque chose d'autre, mais rien ne se produisit. Lorsqu'il se retourna pour repartir, la passerelle de métal apparut sur sa droite. L'adolescent s'y engagea tout en se demandant où il allait ressortir. Il ne se retrouva qu'à quelques pas de son point d'entrée. En tournant la tête, il eut le temps d'apercevoir le talon de la personne qui entrait à sa place.

    Sans s'en soucier outre mesure, Elférad reprit le chemin du dortoir avant de décider de s’asseoir sur un banc. C'était un jour de repos et il aurait sans doute dû s'avancer dans ses devoirs ou trouver une activité productive à faire avec ses amis. Les connaissant, ça va finir par des jeux de carte dans la salle commune. Le jeune homme sentit un besoin de solitude l'envahir et décida de passer sa journée en solitaire. Il n'avait pas la moindre idée d'où était parti Gzadien et il fit de son mieux pour ne pas y songer. Elférad passa donc sa journée dans la bibliothèque, plongé dans les bandes dessinées et sans même ressentir le besoin de manger.

    Lorsque les lumières furent allumées, il réalisa que la nuit tombait et qu'il devait probablement rejoindre son dortoir avant le décompte. Avec lenteur, le garçon se dirigea vers le bâtiment, mais s'arrêta devant les portes sans en franchir le seuil. Il n'avait pas envie de voir Gzadien ou parler à ses amis. Les mains dans les poches, l'héritier d'or s'assit contre le mur en soupirant et resta à fixer le parc en ne pensant à rien. Il entendit le décompte au loin, puis la fermeture synchronisée des portes et resta encore un moment sans bouger.

    Elférad ne comprenait pas comment il avait pu être si naïf en début d'année. Il n'avait pas imaginé à quel point les choses pouvaient changer. Après tout, ils étaient les mêmes, les classes n'avaient pas vraiment changé, alors pourquoi cela aurait dérapé ? Pourquoi si rapidement en tout cas ? Cela n'avait rien de surprenant en fait, seulement, il avait espéré. T'es trop con. Il se leva, une douleur dans l'estomac lui rappelant qu'il n'avait rien mangé depuis le matin.

    A pas tranquilles, le jeune homme se dirigea vers l'hôpital en se demandant si Gzadien était inquiet qu'il ne soit pas rentré. Lorsqu'il pénétra dans le bâtiment, l'infirmier qui se tenait derrière le bureau d'accueil releva rapidement les yeux pour l'analyser. Le voyant indemne, il lança d'un ton peu aimable :

    -Premier étage, au fond du couloir.

    Elférad marmonna un juron en lui jetant un regard mauvais, puis suivit les indications données. Il déboucha dans une salle tout en longueur où des lits étaient alignés, séparés par de petites tables de chevet blanche. L'adolescent haussa un sourcil :

    -C'est sûr que niveau sécurité, c'est pas au top.

    Une odeur vint lui chatouiller les narines et il tourna les talons. Une porte près du dortoir portait un panneau « cuisine ». Elférad la poussa pour découvrir un spectacle auquel il ne s'attendait pas.

    Indilk et une fille qu'il ne connaissait pas se tenait devant un four. Il ne se souvenait pas d'avoir déjà vu le garçon avec une expression si douce et à la façon dont il passait son bras autour de la taille de la jeune fille, Elférad supposa qu'il s'agissait de sa petite amie.

    -Salut.

    L'adolescente sursauta, alors qu'Indilk retrouvait son regard menaçant et son visage dur :

    -Qu'est-ce que tu fiches ici ?

    Elférad s'approcha du frigo :

    -Je cherche à manger.

    La fille eut un large sourire :

    -Tu veux manger avec nous ? J'ai fait des pâtes.

    Indilk eut beau tenter de la dissuader d'un regard, elle l'ignora superbement :

    -Je m'appelle Matharia et toi ?

    -Elférad, je suis dans la classe d'Indilk.

    Elle lui jeta un regard amusé :

    -Je sais.

    Elférad mit les mains dans les poches en ayant un sourire en direction d'Indilk :

    -Tu parles de moi ?

    L'adolescent croisa les bras et Elférad nota que son vernis était assorti à celui de Matharia :

    -Je vous analyse. Ne me dis pas que tu ne le fais pas.

    Matharia posait trois assiettes sur la table rectangulaire qui occupait le centre de la pièce. Un panier de fruit trônait en son milieu et des tabourets étaient glissés dessous. Elférad en prit un pour s’asseoir tout en disant :

    -Je ne crois pas. Pas spécialement.

    Indilk s'assit à son tour, veillant à mettre correctement sa jupe et posa les coudes sur la table :

    -Tu devrais peut-être t'y mettre. Qui sait quand cela pourra te servir ?

    Elférad plissa les yeux :

    -Tu essaies de sous-entendre quelque chose en particulier ?

    Matharia les rejoignit, son assiette pleine :

    -Servez-vous.

    Comme les garçons se levaient, elle continua :

    -Indilk et moi, on pense que cette histoire d'Enfermement va mener à autre chose.

    De retour à table, Elférad se montra vivement intéressé par ces paroles :

    -Comment ça ?

    Indilk posa la main sur le bras de la jeune fille, mais celle-ci n'y fit pas attention :

    -Les Enfermements n'ont pas eu lieu l'année dernière. Contrairement au jeu des souhaits. Du coup, aucun seconde année n'a pu nous renseigner sur ce qui suivrait.

    Elférad avala sa bouchée avant de dire :

    -Si ça se trouve, rien ne suit. Les Enfermements sont peut être une fin en eux-même. Ça nous oblige à nous supporter un certain temps.

    Indilk renonça à empêcher Matharia de parler et se joignit à la discussion :

    -On ne pense pas. Ils s'arrangeraient pour que l'on se retrouve enfermés avec un peu tout le monde ou nous obligeraient à parler. On ne voit pas le but d'avoir quatre ado enfermés qui se regardent dans le blanc des yeux sans rien dire.

    Elférad dut admettre que vu comme cela, les Enfermements étaient inutiles :

    -Vous pensez qu'ils vont faire quoi du coup ?

    Ils haussèrent les épaules en chœur et Elférad retint un sourire. Ils mangèrent un instant en silence avant qu'Indilk ne reprenne :

    -Dis, Elférad, t'avais pas un frère ?

    L'adolescent se figea quelques secondes avant de relever la tête :

    -Pourquoi tu me poses la question ?

    Si Indilk sentit la crispation et l'angoisse chez son interlocuteur, il n'en montra rien :

    -Par chance, il n'était pas à l'école l'année dernière ?

    Elférad secoua la tête :

    -Non, il est mort il y a longtemps.

    Indilk plongea son regard d'un noir intense dans les yeux verts d'Elférad. Celui-ci réprima un frisson et réalisa une chose qui le déconcerta. Il ne me croit absolument pas. Elférad prit l'air le plus innocent qu'il put, mais Indilk ne le lâchait pas du regard. Pourquoi il ne me croit pas ? C'est la première fois qu'on se parle... c'est peut-être pour ça tiens... ne pouvant s'empêcher d'être un peu vexer d'être pris pour un menteur, l'héritier recommença à manger sans plus faire attention à son interlocuteur. Celui-ci échangea un regard avec Matharia avant de replonger dans leur assiette. Il s'écoula une minute, le temps pour Elférad de se ressaisir et oser demander :

    -Comment tu as su que j'avais un frère ?

    Indilk ne leva pas le nez de son assiette :

    -Je te l'ai dit, j'analyse.

    Elférad sentit la colère monter et répéta en articulant chaque syllabes :

    -Comment tu as su que j'avais un frère, Indilk ?

    L'adolescent ne fut pas intimidé et continua de manger. En revanche, la jeune fille l'observait avec tristesse :

    -On fait des recherches auprès des secondes années. Hors, il s'avère qu'il y en a un qui a des tas d'info sur tout le monde.

    L'angoisse se nouait à l'espoir dans la poitrine d'Elférad. Cette personne pouvait être celle qui leur avait envoyé les lettres, bien que le garçon ne voyait pas en quoi il était lié à un seconde année.

    -C'est un espion ?

    Indilk eut un ricanement dédaigneux :

    -Un espion connu de tous. Il doit pas être très doué.

    Elférad se reprit :

    -Je voulais dire qu'il doit tenir ses info d'un espion. Qui d'autre peut recueillir ce genre de détail sur les gens et pourquoi ?

    Indilk planta son regard noir sur Elférad :

    -Pourquoi tu n'as pas l'air ravi que l'on sache que tu as eu un frère ?

    L'adolescent chassa la question d'un geste de la main :

    -Vous l'avez rencontré ce seconde année ?

    Matharia hocha la tête :

    -Oui. On avait besoin d'info.

    -Et il avait l'air comment ? Tu crois qu'il peut utiliser ses info pour faire du chantage ou des trucs comme ça ?

    Cette fois, Indilk s'empressa de répondre avant Matharia :

    -Pourquoi ça t'intéresse ?

    La porte s'ouvrit à cet instant et Xutik entra. Ils se figèrent tous quelques secondes pour se dévisager, puis le nouvel arrivant s'approcha du frigo. La jeune fille se tourna pour lui dire :

    -Il reste des pâtes, si tu veux.

    Elférad se décala pour laisser le garçon s’asseoir après qu'il se fut servi.

    -T'as l'air crevé.

    Xutik lui jeta un regard fatigué :

    -Oh, tu sais. Les tentatives d'assassinat, au bout d'un moment, c'est pas reposant.

    Merde, j'avais oublié ça. Elférad se sentit obliger de demander :

    -Comment tu t'es retrouvé dehors ?

    Le nez dans son assiette, Xutik répondit :

    -Secret.

    Indilk se leva :

    -On y va, Matharia ?

    -Oui.

    Ils firent leur vaisselle et se dirigèrent vers la sortie, mais Elférad les rattrapa :

    -Attendez. Le seconde année qui a des informations, c'est qui ?

    Indilk ricana à nouveau :

    -Ça t'avancera à rien de le savoir.

    Elférad insista, se concentrant sur la fille qui semblait plus réceptive et, en effet, elle finit par répondre :

    -C'est Weikom.

    -Weikom ?

    Indilk précisa :

    -Weikom Qorlia. Le deuxième de la hiérarchie des Cinq.

    Ils sortirent en laissant un Elférad sous le choc. Xutik s'approcha alors pour demander :

    -Y a quelqu'un qu'a des infos intéressantes ? Ça pourrait m'être utile.

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